DEMOCRATIE

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lundi 25 mai 2009

L'Europe, ça ne tombe jamais bien !



ela ressemble à des rendez-vous manqués. Des campagnes pour les élections européennes où l'on n'a pas parlé d'Europe, ou si peu. Parce que la politique intérieure dominait. Parce que le scrutin ne coïncidait pas avec de grands rendez-vous de la construction européenne. Parce qu'il tombait trop tôt (en 1989, avant la chute du mur de Berlin) ou trop tard (en 1994, deux ans après la bataille du traité de Maastricht). Souvenirs de campagnes manquées.

1979 : MITTERRAND ET CHIRAC EN EMBUSCADE

Pour la première fois, les députés du Parlement européen sont élus au suffrage universel. Le président Valéry Giscard d'Estaing l'a voulu, les gaullistes en contestent le principe. En vain. Ils crient à la trahison et prédisent que le Parlement va s'ériger en Assemblée constituante. Cette première campagne est la seule où l'on parlera d'Europe. Violemment parfois.

L'affrontement entre gaullistes et fédéralistes, partisans des Etats-Unis d'Europe, est délétère. Dès décembre 1978, Jacques Chirac dénonce dans son appel de Cochin la "voie paisible et rassurante" du "parti de l'étranger" et "l'inféodation de la France" qui se prépare.

Simone Veil, qui mène la liste UDF, affronte une campagne haineuse. Dans un meeting, celle qui a fait adopter la loi sur l'avortement, la rescapée d'Auschwitz, est accueillie par des "Hitler-Veil, même combat". Elle finira en tête et sera élue présidente du Parlement européen.

Le Parti socialiste, emmené par François Mitterrand, était concentré sur son objectif essentiel, la présidentielle, tout comme Jacques Chirac et Valéry Giscard d'Estaing. "1979 est masqué par 1981", estimait Le Monde à la veille du scrutin.

1984 : COLÈRES FRANCO-FRANÇAISES

L'Europe va repartir, mais nul n'en a conscience. Ce sont les heures sombres de l'"eurosclérose". La Communauté est bloquée par la querelle sur la contribution britannique au budget européen. "I want my money back", martèle le premier ministre britannique, Margaret Thatcher. L'affaire ne sera résolue qu'au conseil européen de Fontainebleau... huit jours après les élections.

"L'année 1985 sera dramatique", prédit, à tort, Simone Veil, qui conduit une liste d'union RPR-UDF. En réalité, François Mitterrand a fait le choix de l'Europe en 1983 : il est resté dans le système monétaire européen. Il s'est rendu à Bonn afin de soutenir Helmut Kohl et l'installation de missiles américains face aux SS20 soviétiques. "Les pacifistes sont à l'Ouest, mais les missiles, eux, sont à l'Est", lance le président français au Bundestag. A Strasbourg, il soutient le rapport Spinelli, en faveur de l'Europe politique.

En France, le débat n'a pas lieu dans les urnes, mais dans la rue. Les Français défilent pour défendre l'école privée. Pierre Mauroy, qui a pris le virage de la rigueur, vit ses dernières semaines à Matignon. Jacques Chirac, qui veut désormais "faire l'Europe sans défaire la France", a organisé une liste commune avec Simone Veil, face aux socialistes emmenés par Lionel Jospin. Des élections européennes, on retiendra l'émergence du Front national (11 %), sans vraiment réaliser qu'il vient de s'installer dans le paysage politique.

1989 : TOUS LIBÉRAUX

L'élection arrive trop tôt. L'on décèle des craquements à l'Est, mais la chute du mur de Berlin surviendra quelques mois plus tard. "L'Europe s'est banalisée", écrit Le Monde au lendemain d'un scrutin qui n'a pas passionné grand-monde. Le débat se concentre sur les trois cent directives concoctées par le président de la Commission européenne, Jacques Delors, pour réaliser le marché unique de 1992.

Le libéralisme est à son apogée en Europe. Même si Margaret Thatcher reste un épouvantail, les socialistes ne sont pas en reste : l'Acte unique européen a été négocié par le premier ministre socialiste Laurent Fabius et ratifié par son successeur Jacques Chirac. M. Fabius mène la liste du PS pour tester sa stature présidentielle. Il connaîtra un revers, avec 23,6 % des voix, un an avant le congrès de Rennes, qui verra les socialistes se déchirer. Valéry Giscard d'Estaing, lui, espère encore pouvoir rentrer dans le jeu, fort de ses 28,8 %.

1994 : GUERRE ET GUÉGUERRES

La vraie bataille sur l'Europe a eu lieu deux ans plus tôt, lors du référendum sur le traité de Maastricht, ratifié in extremis par les Français. Les élections sont une répétition sans risque. Il s'agit de compter les eurosceptiques, alors que la monnaie unique, prévue par le traité, semble encore lointaine. C'est la première victoire du souverainiste Philippe de Villiers, qui engrange 12,4 % des voix.

L'Europe désabusée est incapable d'empêcher la guerre qui déchire les Balkans, tandis que la cohabitation (entre François Mitterrand et Edouard Balladur pour l'exécutif, entre Jacques Chirac et Edouard Balladur au RPR) affadit les débats. Les philosophes Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann renoncent à figurer sur une liste intitulée L'Europe commence à Sarajevo. En revanche, Bernard Tapie, encouragé par François Mitterrand, maintient la sienne. Il est censé affronter Jean-Marie Le Pen. Dans un débat télévisé, le journaliste Paul Amar leur présente des gants de boxe. La vraie victime sera Michel Rocard, tête de liste du PS. Talonné par M. Tapie, il n'enregistre que 14,5 % des voix et voit son rêve élyséen brisé, un an avant la présidentielle de 1995.

1999 GUERRE ET AFFAIRES

Cela aurait dû être le triomphe de l'Europe rose. Le premier ministre socialiste, Lionel Jospin, organise à Paris un meeting avec ses homologues, le Britannique Tony Blair, l'Allemand Gerhard Schröder et l'Italien Massimo d'Alema. Mais il s'agit d'une fausse unité, le socialisme français étant bien éloigné du New Labour.

La guerre du Kosovo écrase les débats et force à l'unité nationale en période de cohabitation avec Jacques Chirac. Après l'échec du traité d'Amsterdam sur les institutions, la campagne porte sur le nécessaire approfondissement de l'intégration européenne avant son élargissement. Mais le débat ne sera vraiment ouvert qu'en 2000 par le discours de l'Allemand Joschka Fischer, à l'université Humboldt de Berlin.

Le sentiment antibruxellois monte, depuis que la Commission de Jacques Santer a dû démissionner, notamment en raison des accusations de népotisme portées contre la commissaire Edith Cresson. L'affaire fait le jeu de Philippe de Villiers, qui finit second du scrutin, derrière le PS. La droite ressort en lambeaux : le RPR a choisi pour tête de file le chantre du non à Maastricht, Philippe Seguin, empêchant la constitution d'une liste commune avec l'UDF. Il jette l'éponge peu avant le scrutin, et c'est Nicolas Sarkozy qui le remplace au pied levé. Il finit à une humiliante troisième place.

2004 TROP TÔT ET TROP TARD

L'élection arrive trop tôt et trop tard. Trop tard, parce que l'élargissement aux pays de l'Est a eu lieu, le 1er mai 2004, sans qu'on demande leur avis aux Français. Trop tôt, parce que la vraie bataille aura lieu en 2005 avec le référendum sur la Constitution européenne. A cette époque, les Français ne se sentent plus chez eux en Europe. Ils se sont retrouvés minoritaires dans leur opposition à la guerre en Irak. Ils maugréent sur les pays de l'Est tout en ayant mauvaise conscience. Le ministre des finances, Nicolas Sarkozy, dénonce l'octroi d'aides régionales aux pays qui pratiqueraient le dumping fiscal, tandis que le PS a adopté pour slogan "Et maintenant, l'Europe sociale".

Nul n'a remarqué la directive sur la libéralisation des services qu'a présentée un an plus tôt un commissaire néerlandais inconnu : Frits Bolkestein. Ce n'est que dans la campagne référendaire sur la Constitution qu'éclatera la polémique sur le "plombier polonais".

En attendant, on manque un vrai débat sur le Parlement européen, qui n'a jamais eu autant de pouvoirs, pour se concentrer sur les enjeux nationaux. La droite se remet mal de sa déroute aux élections régionales. L'onde de choc se poursuit aux européennes, qui voient le triomphe du PS (29,2 %). Le Monde éditorialise, à la veille du scrutin sur "l'enjeu français". L'abstention atteint un record (57,2 %) et Jean-Pierre Raffarin reste premier ministre.

2009 ENCORE RATÉ !

Trente ans après 1979, la campagne pourrait porter de nouveau sur l'Europe. Le Parlement va voir ses pouvoirs encore renforcés par le traité de Lisbonne, tandis qu'il faut réinventer le modèle européen de l'après-crise. Le débat est atone, non faute d'enjeux, mais parce que la gauche social-démocrate est si mal en point en Europe que peu d'observateurs croient à la possibilité d'une prise de pouvoir politique du Parlement qui empêcherait la reconduction du président de la Commission sortante, José Manuel Barroso.


Arnaud Leparmentier
Article paru dans l'édition du 26.05.09

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