DEMOCRATIE

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lundi 25 mai 2009

L'antisarkozysme ne suffit pas !

Notre opinion

François d'Orcival, de l'Institut, le 21-05-2009
Photo: Patrick Iafrate

Les circonstances changent, pas les hommes. Une page des Mémoires de Jérôme Monod, qui viennent de paraître (les Vagues du temps, Fayard), éclaire mieux le jeu de François Bayrou que les deux cent cinquante de son propre livre de bataille (Abus de pouvoir, Plon). La scène se passe au mois de juin 2000. Jérôme Monod, redevenu conseiller politique de Jacques Chirac à l’Élysée, entame sa discrète préparation de la ­future campagne présidentielle de 2002.

Il rend visite à François Bayrou, à son bureau de l’UDF, pour sonder ses intentions. Celui-ci condamne devant lui « l’arrogance de la droite » tout en écartant « tout front commun avec les socialistes ». Puis il fait monter le ton de l’entretien en affirmant à son visiteur que « jamais il n’acceptera d’union avec un parti monolithique » – le RPR du moment. Jérôme Monod nota que son interlocuteur « irait jusqu’au bout, même seul ».

François Bayrou s’est donc opposé à la fusion de l’UDF et du RPR dans l’UMP en 2002, avant de refuser un front commun avec Ségolène Royal entre les deux tours de 2007. Le voici maintenant convaincu que l’alliance à gauche se fera autour de lui la prochaine fois. Bruno Le Maire, secrétaire d’État chargé des Affaires européennes après avoir été directeur de cabinet de Dominique de Villepin, a raison de dire que, durant cette campagne européenne, François Bayrou ne pense qu’à lui et qu’à 2012. Mais il n’est pas le seul. Chacun va lire, le soir du 7 juin, l’ordre d’arrivée des listes aux européennes comme s’il s’agissait d’un premier tour de la présidentielle. Ce sera bien à tort, puisque ces élections ne se comparent pas, mais on ne l’empêchera pas.

François Bayrou n’a donc en tête que d’aller « jusqu’au bout, même seul », en pariant qu’il figu­rera au second tour de la présidentielle de 2012. Il n’y a, sous la Ve République, que deux cas où le candidat de la droite a fait face au second tour à un autre candidat que celui de la gauche : en 2002 et en 1969. Le scrutin de 2002 montre que passer devant un leader socialiste, même premier ministre sortant, est possible. Si Le Pen l’a fait, comment lui, Bayrou le Béarnais, n’y parviendrait-il pas ? La présidentielle de 1969 est plus intéressante encore, puisque c’est un homme de la famille de Bayrou, centriste, démocrate-chrétienne, européenne, qui a ­affronté le candidat gaulliste. Comme Le Pen n’avait pas la moindre chance de battre Jacques Chirac en 2002, c’est le second tour de 1969 qui mérite l’analyse : car Alain Poher avait, lui, une chance de l’emporter face à Georges Pompidou. Pourquoi ne l’a-t-il pas pu ?

Au départ, en effet, les chances du candidat ­centriste n’étaient pas minces. Il incarnait l’opposition au général de Gaulle, qui venait de perdre son ultime référendum avec 52 % de non. Poher cherchait à capitaliser ces voix-là sur son nom : pour un changement, sans bouleversement. En début de cam­pagne, les sondages le plaçaient tout près de Pompidou, loin devant les autres candidats, tous de gauche, le communiste Duclos faisant à l’époque deux à trois fois plus de voix que les socialistes. Mais au premier tour, Pompidou arriva nettement en tête avec 44 % des voix, ­contre 23 % pour Poher, suivi par Duclos avec 21 %. A priori, Pompidou n’avait ­au­cune réserve pour le second tour. Mais pour le battre, il fallait un report massif de la gauche sur le candidat du centre. C’est ce qui devait se révéler impos­sible. Les communistes, qui détestent l’abstention, y furent contraints : Pompidou et Poher, lança Duclos, c’était « blanc bonnet et bonnet blanc ». Au second tour, Poher gagna 20 % de voix de gauche, ce qui était une performance, mais sans atteindre Pompidou, qui l’emporta avec près de 58 % des voix. L’antigaullisme n’avait pas suffi.

Un problème analogue se pose à François Bayrou : en admettant que les socialistes continuent de se déchirer entre eux et lui abandonnent la deuxième place à la présidentielle, son antisarkozysme lui permettra-t-il de gagner ? Rien n’est moins sûr. L’antisarkozysme est une attitude, pas une politique. Il peut condamner l’argent, le bouclier fiscal, le ­salaire des patrons, le travail du dimanche, le budget de l’Élysée (Alain Poher proposait, par mesure d’économie, de supprimer le fromage des menus de la présidence), cela ne suffira pas à lui rallier la gauche de la gauche. Or, plus Bayrou apparaîtra comme une menace immédiate pour les socia­listes, plus ceux-ci feront de la surenchère à gauche et le renverront à ses origines démocrates-chrétiennes. Un sondage de Libération, publié le 27 avril, indiquait que 56 % des électeurs de gauche étaient prêts à une alliance avec lui : cela lui apporterait bien une vingtaine de points, comme à Poher en 1969. Pas assez pour battre Sarkozy, à condition que celui-ci maintienne son capital de voix de droite.

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