DEMOCRATIE

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vendredi 24 octobre 2008

Vers un accord sur le financement de la LGV Sud-Europe-Atlantique

Le secrétaire d’Etat chargé des Transports Dominique Bussereau vient de le confirmer : le protocole de financement pour le "projet du siècle" sera signé le 13 novembre prochain.Réunis à Bordeaux à l'initiative de Dominique Bussereau, ce lundi 29 septembre, les élus de 51 collectivités locales des six régions concernées par le projet de ligne à grande vitesse Sud-Europe-Atlantique, étaient appelés à se prononcer sur le protocole de financement qui leur avait été transmis au début du mois. Un projet que le secrétaire d’Etat désigne comme "le projet du siècle, le plus gros projet ferroviaire en Europe et qui entre en phase opérationnelle", pour un montant global de 14 milliards d’euros pour 4 branches (Lire également l'interview de Bruno de Monvallier, directeur régional Aquitaine Poitou-Charentes de RFF à paraître dans "Le Moniteur" du 3 octobre). La clé de répartition (un tiers pour la région, un tiers pour les départements, un tiers pour les agglomérations) a été validée par Aquitaine qui apportera 57% du financement de Tours-Bordeaux, par Midi-Pyrénées (19%), Limousin (3,5%) et le Centre (3%). Seule la région Poitou-Charentes, appelée à une contribution de 17% sur le projet Tours-Bordeaux, a changé cette répartition entre collectivités, en utilisant notamment la pression fiscale plutôt que le budget d’investissement comme critère de contribution. Le plus gros projet ferroviaire européenDominique Bussereau a déclaré que "désormais 90% à 95% des collectivités sont d’accord et que les amendements qu’elles devront présenter à ce projet de protocole d’ici le 15 octobre seront intégrés au protocole définitif, qui devrait être signé le 13 novembre prochain à Bordeaux." Il a également confirmé que l’Etat discutait avec la Caisse des Dépôts pour la mise en place d’un outil de financement à très long terme et à taux privilégié pour les collectivités locales. Par ailleurs, il a indiqué que dans le projet de loi "Grenelle de l’Environnement" qui devrait être voté d’ici la fin de l’année, ce sont au total 2000 km de lignes nouvelles à grande vitesse qui seront lancées et livrées pour certaines d’ici 2020. Pour les trois autres lignes à grande vitesse, Bordeaux-Toulouse, Bordeaux-Espagne et Poitiers-Limoges, l’Etat s’engage à lancer l’enquête publique fin 2011 et le secrétaire d’Etat souhaite que les travaux soient lancés avant la fin de Tours-Bordeaux (fin 2015), en fonction notamment de la capacité des entreprises à réaliser ce projet. Enfin, "pour tenir notre timing, a conclu le secrétaire d’Etat, le mode de financement de ces trois nouvelles lignes sera très vraisemblablement le même que pour Tours-Bordeaux, des lignes concédées en PPP".

Le Sud-Ouest attend toujours la grande vitesse

Lundi 30/09/2008 se tenait une énième réunion entre une cinquantaine de collectivités locales et le secrétaire d'Etat aux transports. La totalité des financements pour la future ligne à grande vitesse Bordeaux-Paris n'a pu être trouvée. Une nouvelle fois.
Sachant que le dossier "Grande vitesse dans le Sud-ouest" est lancé depuis 1994, en quelle année arrivera-t-il à destination? C'est un problème complexe auquel est confronté Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux Transports. Ces derniers mois, il a multiplié les déclarations optimistes, soulignant la progression des discussions menées entre l'Etat et les collectivités. Ainsi, le 30 juillet dernier, à l'issue d'une réunion entre une cinquantaine de communes, l'Etat et Réseau ferré de France, il précisait en être "à 80% des capacités de financement. (...) On est au camp de base, il nous reste à grimper les derniers mètres, et on s'est donné jusqu'à septembre".
Nous voici en septembre. Le 29. A la suite d'une nouvelle concertation, Dominique Bussereau doit se rendre à l'évidence: il faut repousser l'échéance à la fin de l'année. Ce qui n'entache en rien son optimisme. Dépassés le camp de base et les derniers mètres, "nous ne sommes (maintenant) plus très loin de la ligne d'arrivée, (...) les collectivités ont trouvé 90 à 95% des financements".
Avant que Bordeaux ne soit plus qu'à deux heures de la capitale, il reste encore une question de taille à régler: le financement. L'Etat devrait prendre en charge 50% du coût total, laissant 25% à des partenaires privés et le reste aux collectivités territoriales. Pour la ligne Tours-Bordeaux, cela représente 5,6 milliards d'euros à la charge des communes, agglomérations et régions. Mais, il faut voir plus loin que ce simple Tours-Bordeaux.
12,6 milliards d'euros, le prix de la grande vitesse
A partir de ce tronçon devraient se greffer plusieurs lignes dans un futur lointain (2016-2018), une reliant Bordeaux à l'Espagne, l'autre Toulouse à Bordeaux, mettant ainsi la ville rose à trois heures de la capitale. Et pas question de ne financer que le projet aquitain. Martin Malvy, président de la région Midi-Pyrénées, veut être sûr qu'après avoir participé au financement du tronçon commun Tours-Bordeaux, toutes les régions (Poitou-Charentes, Aquitaine, Centre et Limousin) soutiennent "sa" ligne. "Nous ne voulons pas être cocus ensuite", résume-t-il.
Du coup, à la communauté urbaine de Bordeaux (CUB), on se pose des questions sur le financement d'un budget en nette hausse. "La question du bouclage d'un tour de table financier qui inclut à présent, au-delà de la réalisation de la branche Tours - Bordeaux, celle des tronçons du grand Sud Ouest a suscité de nombreuses interventions d'élus. Il est vrai que la facture est littéralement en train de s'envoler. Cette addition des projets devrait impliquer une contribution de la CUB aujourd'hui proche de 260 millions d'euros, alors que cette dernière était encore sollicitée à hauteur de 100 millions d'euros en 2007", détaille l'agglomération sur son site.
Les collectivités se retrouvent face à un dilemme: payer une lourde addition et enfin accrocher le wagon de la grande vitesse, ou rester à quai. Dominique Bussereau prévient: à trop attendre, ce projet risque de se faire dépasser par d'autres chantiers de cette importance, et "les partenaires privés pourraient venir à manquer". Pour les collectivités, la note gonflerait alors. Il est vraiment temps que le projet "LGV dans le Sud-ouest" arrive à destination.

Michel Rocard : "La crise actuelle est née en 1971"

Au-delà des crédits immobiliers subprimes, on a le sentiment que la crise financière remonte à plus loin... Quelle est votre explication ?
Il y a un consensus presque absolu sur les causes techniques de la crise actuelle. Les banques américaines ont caché les crédits immobiliers douteux dans des packages contenant 15 à 20 % d'actifs douteux, camouflés dans des avoirs sains, qu'on a ensuite vendus comme des actifs financiers uniques. Aujourd'hui, aucune banque n'est en état de mesurer son degré d'incertitude, et encore moins celui du voisin.

Pourquoi ça s'est passé comme ça ?
Je suis convaincu qu'il faut remonter au décrochage du dollar et de l'or en 1971. Il a entraîné un manque de repères fixes qui a poussé le monde financier à inventer de plus en plus de mécanismes pour se prémunir contre les aléas de change. Ils sont regroupés sous le nom de produits dérivés. Petit à petit, le taux d'incertitude de ces produits est devenu trop grand et on a eu un effet de bulle...
Pardon, vous suggérez de revenir à l'étalon or ?
On ne peut pas ! Malheureusement, c'est le passé. On ne sortira pas des difficultés actuelles sans trouver quelque chose de nouveau. De 1945 à 1975, dans tous les Etats développés, le capitalisme avait une croissance de 5 % par an, il ne connaissait jamais de crise financière et tout le monde était en plein emploi. Nous sommes maintenant dans un capitalisme qui s'essouffle pour atteindre la moitié de cette croissance, sans y parvenir, qui connaît une crise financière gravissime tous les quatre ou cinq ans, et où tous les pays ont un quart de leur population fragilisée devant le travail. Ma question est : peut-on rafistoler le système bancaire sans remédier à cette anémie générale de l'économie physique ?
Pourquoi le capitalisme s'est-il essoufflé ?
L'équilibre entre partenaires du jeu économique a changé. C'est le résultat de deux siècles d'histoire du capitalisme. Quand il est né – dans les années 1810-1840 – on s'est aperçu que le système était cruel et injuste. Assez vite naît une riposte du monde du travail, qui prend la forme des coopératives, des mutuelles, des syndicats, du mouvement socialiste. Leur souci est de se débarrasser du capitalisme. Mais le capitalisme a gagné. Sous la pression ouvrière, mais pas seulement, son efficacité prodigieuse a été mise au service de la lutte contre la cruauté sociale.
Le système est ainsi fait qu'il est instable. C'est même sa caractéristique principale. La crise des années 1929-1932, et la guerre qui a suivi, a rallié les cervelles à l'idée qu'il fallait le stabiliser. L'accord s'est fait dans le monde sur trois stabilisateurs. Le premier, c'est la sécurité sociale. L'Anglais Beveridge a théorisé qu'en faisant des retraites, de l'assurance chômage, de l'assurance maladie, des prestations familiales, on contribuait à stabiliser le système. Le deuxième régulateur, c'est celui de Keynes : au lieu de gérer les budgets et la monnaie sur la base de comptes nationaux, il faut les utiliser pour amortir les chocs extérieurs. Cette idée explique l'absence de crise pendant les trente années qui suivent. Le troisième régulateur, le plus ancien, c'est celui d'Henry Ford, et il tient en une phrase : "Je paie mes salariés pour qu'ils achètent mes voitures." Mis ensemble, à la fin de la Second Guerre mondiale, ces trois stabilisateurs vont donner le compromis social-démocrate, qui a duré trente ans.
Mais ce compromis a été abandonné depuis longtemps...
Les actionnaires ont fini par considérer qu'ils étaient mal traités. Ils ne venaient pas aux assemblées générales – on en rigolait, d'ailleurs. Ça a changé quand se sont créés les fonds de pension qui regroupent des milliers, des millions d'actionnaires. Ils ont envahi toutes les assemblées, en se moquant des problèmes internes de l'entreprise, et en disant "je veux plus". Dans la foulée se créent les fonds d'investissement, plus petits mais beaucoup plus incisifs, et les fonds d'arbitrage, les hedge funds.
Ces fonds ont créé une vaste pression sur les managers. Ils disaient : "Si vous ne payez pas plus, on vous vire." Puis il y a eu un mouvement plus puissant encore, celui des OPA. Celui qui ne distribue pas assez à ses actionnaires devient "opéable". Il en a résulté une externalisation formidable de la main-d'œuvre, qui a rendu précaire un quart de nos populations. Au final, cela donne une économie fatiguée, minée par la méfiance, où l'idée de fidélité à l'entreprise commence à disparaître et où la croissance ralentit.
Y a-t-il des moyens d'en sortir ?
Tout commence par la prise de conscience et le diagnostic. Ce diagnostic doit être scientifique et internationalement partagé. Aussi longtemps que les chefs d'entreprises productives se laisseront intoxiquer par la propagande bancaire, alors que leurs intérêts sont souvent antagonistes, aussi longtemps que les médias nieront le diagnostic, il n'y aura pas de remède.
Le repli national, c'est l'assurance déclin, l'assurance récession, parce que nos économies sont interdépendantes. L'économie administrée, on sait bien que ça ne marche pas. Interdire les produits dérivés, à mon avis ce n'est pas possible, car ils font fonctionner le système. Donc il faut une longue réflexion, qui doit comprendre un aspect éthique. La confiance ne peut pas revenir quand le PDG ou le banquier, qui gagnait 40 fois plus que ses salariés pendant les deux premiers siècles de capitalisme, gagne 350 à 500 fois plus. Il faut reconnaître que le moteur de la croissance, c'est la consommation des ménages. Cela implique le retour de la masse salariale à un niveau plus élevé : en moyenne, sa part dans le PIB a perdu 10 % en vingt-cinq ou trente ans.
Il faudra aussi fournir un élément scientifique pour condamner l'espoir d'une rentabilité à 15 %, alors que le PIB croît de 2 % par an. Cet objectif de 15 % est un objectif de guerre civile. Or, il a été formulé par les professionnels de l'épargne et personne n'a rien dit. Aujourd'hui, si on ne trouve pas d'inflexion, on est dans le mur. Le déclin du Bas-Empire romain a commencé comme ça...
Comment jugez-vous l'action de l'Europe dans cette crise ?
Elle a fait preuve d'une inventivité inhabituelle. Mais ce ne sont pas les institutions européennes qui ont fonctionné. La Commission se tait. Le Conseil des ministres n'a pas été sollicité. Un type talentueux, qui s'appelle Nicolas Sarkozy, a exploité la convergence des volontés de quelques grands Etats européens. La zone euro nous a protégés. Sans l'euro la crise serait infiniment plus grave. Elle a trouvé un bon conseiller en la personne de Gordon Brown, avec son invention géniale de garantie publique aux prêts interbancaires.
A ce propos, je viens d'apprendre une nouvelle délicieuse : le principal conseiller financier de Gordon Brown serait Alan Greenspan [ancien président de la Réserve fédérale américaine]. Or, c'est le surcroît de liquidités qu'il a créé qui a permis aux banques de prendre tous ces risques. Il y a de quoi sourire.
Vous êtes encore plus sévère envers l'économiste ultralibéral Milton Friedman...
Friedman a créé cette crise ! Il est mort, et vraiment, c'est dommage. Je le verrais bien être traduit devant la Cour pénale internationale pour crimes contre l'humanité. Avec son idée que le fonctionnement des marchés est parfait, il a laissé toute l'avidité, la voracité humaine s'exprimer librement.

jeudi 23 octobre 2008

« Le capitalisme a un bel avenir devant lui… » Entretien

On dit déjà que « le libéralisme est enterré ». N’est-il pas frappé par ses excès ? Comment expliquez-vous cette explosion en chaîne qui dure depuis plus d’un an ?_ Il s’agit bien d’une réaction en chaîne. Le fait déclencheur, la crise des subprimes, mérite d’être regardé de près. Au départ, et avec les meilleures intentions du monde, les dirigeants politiques des Etats-Unis constatant que, selon le dicton, « les banques ne prêtent qu’aux riches », souhaitent rendre accessible à tous le rêve américain de la propriété individuelle. Pour cela, ils vont faire intervenir deux agences para gouvernementales, Freddie Mac et Fannie Mae qui bénéficient de la garantie implicite de l’Etat pour refinancer les crédits hypothécaires aux nouvelles acquisitions, et faire voter un arsenal législatif pour punir les banques qui ne prêteraient pas aux pauvres – et aux minorités…Avec la politique d’argent facile et bon marché favorisée par la Réserve fédérale à partir de 2001, ce système va s’emballer. La valeur de l’immobilier augmente, ce qui permet, dans le système américain, des prêts hypothécaires, de s’endetter encore plus.Ainsi tout est parti de la politique d’argent facile pratiquée par la Réserve fédérale et de l’intervention publique sur le marché immobilier. Ce sont d’ailleurs les plus libéraux qui ont le mieux vu et dénoncé cette double immixtion de l’Etat._ Que se passe-t-il ensuite ?En fait, le retournement initial du marché de l’immobilier et l’accroissement du taux de non remboursement des subprimes ne constituaient pas en soi un cataclysme. Le bon sens eut voulu que les autorités américaines transforment la garantie implicite qu’elles avaient donné en garantie explicite, c’est-à-dire qu’elles « nationalisent » les pertes bien plus tôt. Mais un malheur n’arrive jamais seul. La révolution financière qui a permis l’argent bon marché, le financement de la croissance et de la mondialisation, a aussi créé des instruments nouveaux qui ont eu pour conséquence de diminuer, de partager, de mutualiser le risque. Or ces mêmes instruments dès lors qu’ils incorporent une part d’actifs toxiques ont disséminé le mal à l’ensemble de la planète financière. Et les normes comptables et bancaires en vigueur au lieu de freiner ou de cantonner la crise l’ont au contraire accélérée.Les nouvelles normes comptables (les fair value » ou « market to market » font que si je me débarrasse d’un actif toxique à vil prix, tous les acteurs économiques qui détiennent un actif similaire doivent inscrire ce prix cassé dans leurs comptes. Il s’en suit une dévalorisation en chaîne. Si nous avions encore les normes comptable de 2005, la propagation de la crise eut été évitée ! Ajoutez à cela les normes bancaires qui obligent une banque en cas de perte à augmenter son capital, à vendre des actifs ou à provisionner. Mais si une banque inscrit 100 de provisions, elle doit couper 1200 dans ses crédits, avec toutes les conséquences que l’on imagine sur les acteurs économiques qui ont besoin de ces crédits. il s’agit d’une crise d’un autre type que celle de 1929 ?C’est un engrenage similaire à la crise de 1929 bien analysée par l’économiste américain Irving Fisher dans sa « théorie de la déflation par la dette ». Un acteur économique endetté est poussé à la faillite, celle-ci entraîne la perte d’une créance par sa banque qui elle-même est obligée de réduire ses crédits à une autre entreprise, laquelle est mise en faillite… Ainsi de proche en proche, se propage la déflation et la crise.Cette similitude m’avait d’ailleurs très tôt poussé à décrire la crise actuelle comme porteuse d’un risque de « déflation par la norme ». Mais s’il était bien sur nécessaire de remettre des liquidités pour palier au risque de thrombose créé par la crise financière il eut été nécessaire de suspendre très tôt les normes comptables toxiques comme vient seulement de le décider le G4 réuni à Paris._ Et l’absence de régulation dénoncée par certains ? Qu’on ne vienne pas dire que la crise serait due à l’absence de régulation, que les acteurs auraient été libres de faire n’importe quoi ! C’est totalement faux ! La circulation financière, comme la circulation routière a des règles. Vous ne pouvez pas rouler n’importe où, il y a des limitations de vitesse, des contrôles techniques…Là, nous sommes entrés dans le brouillard, sans feu de signalisation et surtout sans bande d’arrêt d’urgence. D’où le grand carambolage. Ce n’est pas le résultat d’une absence de régulation, mais d’une mauvaise régulation, des subprimes aux normes comptables. Sans compter les agences de notation, dont on dit qu’elles n’ont pas fait leur travail, mais qui fonctionnent en oligopoles protégées par l’Etat. Et les exceptions règlementaires qui ont été accordées aux banques d’affaires pour leur permettre de prendre plus de risques et jouer aux « hedge funds »... _ Justement, on a beaucoup accusé la spéculation des « hedge funds »…Les « hedge funds », constituent c’est vrai le secteur le moins régulé et nombreux étaient ceux qui annonçaient qu’ils allaient provoquer une crise. En fait les hedge funds, s’ils vont subir une crise qu’ils n’ont en rien créé, se seront révélés comme des acteurs responsables. Ce qui doit nous conduire à observer que les normes lorsqu’elles sont imparfaites – et elle ne peuvent jamais l’être – conduisent parfois les acteurs qui les respectent à oublier l’analyse des vrais risques. La crise que nous avons est celle de la régulation publique et même de l’interventionnisme public en ce qui concerne l’origine des subprimes._ N’y a-t-il pas eu aussi une erreur de Greenspan ?Alan Greenspan, comme son successeur Ben Bernanke, a été marqué par le souci de tuer dans l’œuf tous les risques déflation dépression en déversant, à la moindre alerte, des trombes de liquidité par un écroulement des taux courts de la Fed au risque de créer des bulles financières.C’est d’ailleurs pourquoi les plus libéraux sont aussi les plus critiques du fonctionnement des banques centrales et de cet interventionnisme aléatoire et discrétionnaire qui fausse les prix et le calcul des risques. _ On a compris ce qui avait conduit au « carambolage ». Fallait-il ensuite que les Etats interviennent comme ils l’ont fait ? L’Etat est par nature producteur de sécurité in fine. De sécurité personnelle, d’indépendance nationale, de sécurité sanitaire en cas d’épidémie. C’est pour cela qu’il dispose du monopole de la contrainte. Depuis le début de la crise, j’ai souhaité une intervention énergique et rapide de l’Etat (en l’occurrence américain). Je n’ai cessé de dire tout au long de l’année écoulée : mais que font les Etats-Unis ? Leur intervention a été tardive et désordonnée : un jour, on dit aux actionnaires de renflouer Fannie Mae et Freddie Mac ; le lendemain, contre toute logique économique, on les ruine en nationalisant ; ensuite, on sacrifie Lehman Brothers pour faire un exemple ; puis face aux conséquences catastrophiques de cet exemple, on décide de sauver tout le monde… Bref, cela donne aux marchés financiers, qui ont besoin de confiance, le sentiment d’une crise mal maîtrisée. _ N’est-ce pas parce que l’opinion publique américaine s’est dressée contre Wall Street ?Indiscutablement. Le spectacle de l’argent facile a creusé un fossé entre Wall Street et Main Street. Et l’intervention des Etats se doit bien entendu aujourd’hui que la facture dela faillite des banques soit d’abord payée par les banquiers et les actionnaires._ Faut-il donc redouter un retour en force de l’Etat dans la gestion de l’économie ? Les politiques n’avaient pas digéré que l’Etat ait été rogné dans ses prérogatives, que les choix individuels l’emportent sur les choix collectifs, que le marché économique l’emporte sur le marché politique. Cette crise est pour eux l’occasion d’une revanche sur le « grand méchant marché ». Celle-ci sera certainement très provisoire. Mais si, l’intervention de l’Etat est nécessaire, quand il y a un incendie dans la maison, on est bien content qu’il y ait des pompiers. Si de nouvelles régulations sont nécessaires, encore faut-il savoir créer un cadre responsabilisant et non étouffant pour les acteurs de la finance. _ Comment rétablit-on la confiance ? Les propositions de la Commission européenne reprises par le G4 de l’Elysée sont de bonne facture. Mais elles arrivent bien tard, et comme dans le plan américain « le diable est dans les détails ». Au surplus, je m’interroge sur les risques de collision entre les traitements américain et européen.Cela dit, dans les crises, sauf à entrer dans une spirale déflationniste à la japonaise -elle a duré dix ans- il y a un moment où la détérioration s’arrête et qui catalyse les forces qui peuvent assurer la remontée._ Quels peuvent être les facteurs de retour à la confiance ?Les lendemains de l’élection présidentielle aux Etats-Unis peuvent être l’occasion de ce rebond. _ Mais le scénario à la japonaise ?Une crise mal soignée en Europe pourrait aboutir à cela. Une mauvaise politique monétaire peut nous faire entrer dans une longue dépression déflationniste. La politique des taux de la BCE que pour ma part je n’ai pas critiqué jusqu’à présent ne me paraît pas à la mesure de la crise actuelle. Elle correspond à des prévisions de croissance et d’inflation de début d’année qui n’ont plus aucun sens aujourd’hui. Baisser énergiquement les taux cours, c’est permettre aux banques de se recapitaliser. _ La crise n’est-elle pas aussi due à l’épuisement d’un cycle d’innovations technologiques ? Non. La révolution financière, qui améliore l’efficacité du capital, se poursuivra. La croissance « schumpetérienne » de l’innovation créatrice va exploser : les nanotechnologies, les nouvelles énergies, la révolution génétique, tout cela est devant nous. Nous avons devant nous des décennies de croissance innovatrice fantastique. De même la croissance « ricardienne ». De l’avantage comparatif et de l’optimisation des talents à l’échelle de la planète. Ces deux moteurs qui font la force du capitalisme restent ainsi durablement allumés. Peuvent-ils tomber en panne faute de carburant ? Durablement, non. Le capital reste abondant et l’intelligence financière très active.
Propos recueillis par François d’Orcival et David Victoroff.

Les pistes de Nicolas Sarkozy pour relancer l'économie

Le président de la République se rend ce jeudi à Annecy pour dévoiler des mesures en faveur des PME. Nicolas Sarkozy pourrait aussi annoncer la mise en place d'un fonds souverain, pour aider les entreprises en difficulté.
Entre deux déplacements à l'étranger pour promouvoir son sommet international sur la crise, qui a été fixé mercredi au 15 novembre, le chef de l'Etat se rend en Haute-Savoie, près d'Annecy, pour annoncer ces mesures qui devraient notamment concerner les PME et les secteurs les plus touchés par la crise, comme l'automobile.
Il aura visité auparavant Mecalac, une PME spécialisée dans la construction d'engins de travaux publics.
Nicolas Sarkozy pourrait aussi annoncer la création d'un fonds souverain ou plutôt d'un "fonds public d'investissement" chargé de soutenir les entreprises en difficultés, ou celles connaissant "des problèmes ponctuels de trésorerie", selon Le Figaro.
Les mesures attendues devraient s'inscrire dans le prolongement de celles annoncées depuis début octobre, notamment le déblocage de 22 milliards d'euros de fonds pour atténuer l'impact de la crise financière sur le financement des PME.
Pour les mêmes raisons, le gouvernement a obtenu des banques, en échange de sa contribution de 10,5 milliards d'euros au renforcement de leurs fonds propres annoncée lundi, des engagements sur l'augmentation de leurs crédits aux entreprises et aux particuliers.
Toujours sur le même registre, le quotidien Les Echos évoquait mercredi d'autres projets comme celui d'un mécanisme de réassurance publique des assureurs crédits, confrontés à une hausse des faillites d'entreprises.
"Il s'agit d'éviter que les assureurs crédit restreignent trop l'octroi de garanties et, de ce fait, l'accès aux liquidités des entreprises", a déclaré un proche du dossier cité par le journal.
Chez Euler Hermès, le numéro un mondial du secteur, on déclare tout ignorer à propos d'un tel dispositif et on ajoute que le groupe n'a rien demandé de particulier.
Pour Karine Berger, directrice des études économiques d'Euler Hermes SFAC, "les mesures financières étaient nécessaires mais elles doivent être complétées aujourd'hui par des mesures économiques".
"Vous avez beau injecter de l'argent dans l'économie, si les gens ne veulent plus investir parce qu'il n'y a plus de demande, vous avez un grave problème macro-économique", a-t-elle dit à Reuters.
"Notre analyse est simple, c'est que la crise économique a démarré, qu'elle est brutale et que cela va se traduire par une montée des défaillances d'entreprises", a-t-elle ajouté.
L'assureur crédit anticipe ainsi pour cette année en France une progression de 10% à 15% de celles-ci, à des niveaux qui n'avaient pas été atteints depuis dix ans.
Nicolas Sarkozy pourrait par ailleurs revenir jeudi sur les mesures de soutien déjà annoncées pour des secteurs comme l'immobilier et l'automobile.
Elles devraient, selon Les Echos, être complétées par un volet social, notamment pour accompagner les restructurations. Le "contrat de transition professionnelle", mis en place de façon expérimentale depuis deux ans pour les licenciés économiques, pourrait être étendu, et les "contrats de qualification" pour les jeunes relancés.
Pout autant, Nicolas Sarkozy "n'annoncera pas de plan emploi en tant que tel", a-t-on souligné à l'Elysée alors que le secrétaire d'Etat chargé de l'Emploi, Laurent Wauquiez, évoquait la semaine dernière encore un "plan emploi en trois volets".
Le Premier ministre, François Fillon, a évoqué de son côté des "mesures complémentaires" en faveur de l'emploi, venant s'ajouter au plan de sauvetage des banques et aux mesures annoncées pour les Petites et moyennes entreprises.
Ces mesures sur l'emploi restent "une priorité compte tenu des incidences de la crise financière risque d'avoir sur l'emploi", a déclaré mercredi le porte-parole du gouvernement, Luc Chatel, lors du compte-rendu du conseil des ministres.

mercredi 22 octobre 2008

Un sommet mondial sur la crise aura lieu le 15 novembre




Un sommet mondial sur la finance réunira le 15 novembre dans la région de Washington des dirigeants du Groupe des 20, qui rassemble des pays développés et émergents, annonce la Maison-Blanche.
Ce sommet, précédé la veille d'un dîner, sera consacré à l'étude des causes de la crise financière et à l'examen des réponses qui lui ont déjà été apportées, a précisé la porte-parole de la présidence américaine, Dana Perino.
Les chefs d'Etat ou de gouvernement conviés à ce sommet devraient également discuter des réformes nécessaires du système financier, "afin d'éviter que (la crise) ne se reproduise", a ajouté Perino.
Ce sommet concernera le Groupe des 20 créé en 1999, après la précédente crise financière d'envergure internationale, et qui réunit les principales puissances économiques ainsi que de grandes économies émergentes, comme le Brésil, l'Inde ou la Chine.
Le directeur général du Fonds monétaire international, le président de la Banque mondiale, le secrétaire général de l'Onu et le président du Forum de stabilité financière ont également été invités par George Bush.
Le sommet aura lieu onze jours après l'élection présidentielle américaine et la Maison blanche a fait savoir qu'elle entendait obtenir la contribution du vainqueur, qu'il s'agisse du démocrate Barack Obama ou du républicain John McCain.
"Les deux candidats ont été informés de la tenue de cette réunion et de l'intention du président d'inviter les dirigeants (du Groupe des 20) et je crois qu'ils étaient favorables à cette idée", a déclaré Dana Perino.
"Je suis heureux que la Maison blanche ait annoncé la tenue d'un sommet qui permet de faire avancer le type de coopération que j'appelais de mes voeux le mois dernier. L'Amérique doit montrer le chemin et d'autres pays doivent aussi participer à la recherche de la solution", a déclaré Barack Obama à des journalistes.
Un sommet suivi de plusieurs autres
Plusieurs dirigeants européens réclamaient l'organisation d'un tel sommet d'ici la fin de l'année, dont Nicolas Sarkozy, président en exercice du Conseil européen, qui souhaitait le voir se tenir à New York.
Le président français s'est félicité de l'organisation du sommet, rappelant dans un communiqué qu'il en avait lui-même lancé l'idée devant l'Assemblée générale des Nations unies le 23 septembre.
"Ce premier sommet sera suivi de plusieurs autres, afin de refonder le système international et, à travers une meilleure régulation et une surveillance plus efficace de tous les opérateurs, d'assurer que la crise actuelle ne se reproduira pas", pouvait-on lire dans le communiqué de l'Elysée.
Cet appel à réformer la finance mondiale, relayé par plusieurs dirigeants européens au cours des dernières semaines, devrait donner lieu à d'intenses débats, à en croire la Maison blanche qui dit s'attendre à ce que chaque pays propose des solutions différentes.
Selon Dana Perino, il est d'ailleurs peu probable qu'un plan détaillé soit ébauché dès ce premier sommet.
George Bush, comme Nicolas Sarkozy, s'est engagé à participer à une série de sommets, mais rien n'indique pour l'heure que d'autres réunions auront lieu d'ici le 20 janvier, date de son départ de la Maison blanche.
Par ailleurs, l'identité et le nombre des participants pourraient être amenés à évoluer, puisque Nicolas Sarkozy a assuré mardi au président du gouvernement espagnol José Luis Zapatero qu'il plaiderait en faveur de sa présence.
Lors d'une conversation téléphonique, le président français a dit à Zapatero "sa conviction que l'Espagne a toute sa place au prochain sommet (...) compte tenu de son poids dans l'économie mondiale", a-t-on appris auprès d'une source à l'Elysée.
L'Espagne ne fait pas partie du Groupe des 20, dont la France, l'Italie, l'Allemagne et la Grande-Bretagne sont les seuls membres européens. L'Union européenne y est également représentée.
Ses autres membres sont l'Afrique du Sud, l'Arabie saoudite, l'Argentine, l'Australie, le Brésil, le Canada, la Chine, la Corée du Sud, les Etats-Unis, l'Inde, l'Indonésie, le Japon, le Mexique, la Russie, et la Turquie.
Le président sénégalais Abdoulaye Wade s'est ému de l'absence de pays africains - autres que l'Afrique du Sud - lors de ce sommet, expliquant que les institutions créées par "les colonisateurs (...) n'ont pas pu régler les problèmes des pays en voie de développement."
"Nous sommes un grand continent avec 800 millions d'habitants (...) Nous sommes un continent qui regorge de matières premières, comment on va réformer le monde, la gouvernance du monde sans nous consulter ? C'est inacceptable", a souligné Wade, se disant prêt à donner son avis.

Crise: le pire est-il à venir ?



Voilà soixante-dix-neuf ans exactement débutait la crise de 1929 : à la débâcle boursière succédait la dépression économique, puis la catastrophe politique. Faut-il s'attendre à un remake des années 1930 ? Revue des scénarios possibles.
C'est le jeudi 24 octobre que la panique, pour la première fois, s'est emparée de Wall Street. Faute d'acheteurs, le marché s'effondre et, à la mi-journée, la Bourse abandonne plus de 22 %. Un conglomérat de banques se forme dans l'urgence pour limiter les dégâts.
1929-2008 : mêmes causes, mêmes effets ?
Des causes similaires Dans les deux cas, on assiste à l'éclatement d'une bulle spéculative (boursière à l'époque, immobilière aujourd'hui), qui entraîne une chute des cours (- 85 % en trois ans à l'époque, - 40 % déjà en 14 mois cette fois-ci) et une crise bancaire généralisée.
Un traitement différentEn 1929, la banque centrale américaine, la Fed, avait tardé à prendre la mesure de la crise. Cette fois, les autorités politiques et monétaires ont réagi rapidement, en injectant des liquidités et en baissant leurs taux directeurs. Mais elles ont fait d'autres erreurs, laissant notamment tomber Lehman Brothers, dont la faillite a déstabilisé tout le système financier.
Quid des conséquences économiques ?Entre 1929 et 1933, aux Etats-Unis, la production industrielle a chuté de moitié, le produit intérieur brut de 30 %, tandis que le chômage explosait pour atteindre un quart de la population active. On n'en est pas encore là...
« Il y a eu une petite quantité de vente à perte à la Bourse en raison de conditions techniques sur le marché, rassure Thomas Lamont, un dirigeant de la banque J. P. Morgan. [La situation est] susceptible de s'améliorer. »
Ainsi débuta, il y a exactement soixante-dix-neuf ans, la crise de 1929. L'avidité de quelques-uns, l'aveuglement des autorités et des observateurs, l'indifférence du plus grand nombre débouchaient sur un krach boursier sans précédent, puis sur la Grande Dépression. Les années 1930 sont-elles de retour ?
Le scénario islandais : la glaciation
Quelle sera l'ampleur du ralentissement dans les pays occidentaux ? Tout dépendra de l'efficacité des plans de sauvetage mis en place la semaine passée (4 000 milliards de dollars au total). « Les Etats ont fait tapis, comme au poker, estime l'éditorialiste de L'Express, Jacques Attali. Ils ont bluffé, dans l'espoir que les marchés n'iraient pas voir ce qu'ils ont dans leur jeu. Mais rien n'est moins sûr... »
Le pari pourrait se révéler payant, si de nouvelles mines n'explosent pas dans le système financier. Or ce dernier est encore encombré de nombreuses armes de destruction massive. Les fonds spéculatifs, les fameux hedge funds, d'abord, qui pourraient bien être les prochaines victimes de la contagion (cliquer ici).
Les credit default swaps (CDS), ensuite : il s'agit au départ d'instruments d'assurances contre les défauts de paiement. Les petits génies de la finance les ont transformés en produits spéculatifs hautement inflammables, disséminés un peu partout dans le système, pour un montant total de près de 60 000 milliards de dollars [l'équivalent du PIB mondial]. Enfin, on peut craindre un effet boomerang de l'économie sur la finance, si les entreprises (les constructeurs automobiles américains sont au bord de la faillite) ou les particuliers (très endettés, notamment par le biais de leurs cartes de paiement) se trouvaient dans l'incapacité de rembourser leurs prêts.
Autant de déflagrations qui pourraient amener les banques à se présenter plus massivement que prévu aux guichets de refinancement ouverts par les Etats. La question de la soutenabilité de la dette publique pourrait alors finir par se poser.
C'est ce qui s'est produit pour l'Islande, dont l'économie, gonflée à bloc par un secteur financier hypertrophié (sept fois le PIB), a explosé en vol. Au bord de la banqueroute, le pays - dont la dette a été dégradée par toutes les agences de notation - en a été réduit à quémander 4 milliards d'euros à la Russie. Et la dépression est désormais actée (plus de 10 % de recul de l'activité dans les prochaines années, selon les économistes).
Les pays les plus endettés (l'Italie) ou les plus dépendants du secteur financier (les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou encore l'Espagne) pourraient se trouver à leur tour en difficulté, contraints de se refinancer à un coût élevé. Avec un risque de contagion à l'ensemble des pays développés, y compris la France (voir page 98).
L'ampleur de la dépression ne tiendrait alors qu'à un fil rouge : la capacité des pays émergents, et en particulier de la Chine - qui sont les principaux prêteurs de l'Occident - à continuer à lui fournir des capitaux. Si la Chine tient, nos pays pourraient alors connaître un scénario semblable au Japon des années 1990 : une récession longue, mais supportable. Mais si la Chine craque...
Le scénario hollywoodien : le happy end
Le pire n'est pas toujours sûr. Mais, pour que le scénario catastrophe soit déjoué, un certain nombre de conditions sont requises. La première : que le système financier, en équilibre instable, ne fasse pas de grave rechute. La seconde : que l'argent des Etats soit bien utilisé par les banques pour financer l'économie, et non pour reconstituer leur pelote. La confiance pourrait alors revenir plus vite que prévu, enclenchant ainsi un cercle vertueux.
« Dans la crise actuelle, il y a beaucoup de facteurs psychologiques, rappelle Christian Parisot, chef économiste chez Aurel Leven. Ce sont eux qui paralysent tout le monde. » Les Bourses pourraient alors, elles aussi, rebondir : beaucoup d'experts estiment en effet que le scénario d'une grave récession est déjà inscrit dans les cours. Dernier point positif : l'éclatement de la bulle des matières premières, qui limite pour l'heure les risques d'inflation, et pourrait engager les grandes banques centrales à baisser à nouveau leurs taux pour relancer la machine.
Alors, scénario noir ou scénario rose ? Au-delà des mécanismes économiques, la réponse dépendra surtout de la volonté de coopération des Etats. La mise en place de nouvelles règles de fonctionnement des marchés financiers est en effet une condition sine qua non du retour durable de la confiance.
En tête des priorités : l'interdiction des paradis fiscaux, le contrôle des rémunérations, l'encadrement des fonds spéculatifs et des marchés à terme. Au-delà - et ce ne sera pas le plus facile - c'est tout le fonctionnement du capitalisme qui est à repenser au niveau international. « Toute la question, conclut Attali, est de savoir si le monde se trouve en mars 1933 en Allemagne [proclamation du IIIe Reich] ou en mars 1933 aux Etats-Unis [mise en place du New Deal]. » Aux politiques d'être à la hauteur...

samedi 18 octobre 2008

Comprendre les plans de sauvetage

1) Les plans présentés cette semaine constituent-ils une première ?
Beaucoup de crises bancaires que le système capitaliste a déjà traversées ont coûté très cher. Au Japon, à la suite de la crise des banques liée à l'éclatement de la bulle immobilière, au début des années 1990, le gouvernement a lancé douze plans de relance pour un total de 1 027 milliards d'euros, ce qui a conduit à un taux d'endettement public de 178 % du produit intérieur brut (PIB). Dans les années 2000, la Chine a discrètement procédé à des recapitalisations bancaires massives très onéreuses.
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Les montants en jeu aujourd'hui sont, eux aussi, très élevés. Mais ils sont faibles, comparés à la valeur totale des bilans bancaires qui représentent, en France, l'équivalent de 3,5 fois le PIB ! La nouveauté tient plutôt à la généralisation et à la coordination des plans.
2) Comment est-on passé d'un plan européen de 300 milliards d'euros à des plans à 1 700 milliards ?
Le premier plan proposé à la hâte par le gouvernement français aux autres pays européens se voulait la réplique du plan Paulson américain, sans qu'on sache très bien ce qu'il allait contenir : le rachat des actifs douteux des établissements financiers ? Des mesures destinées à la recapitalisation des banques ? Des garanties sur les prêts interbancaires ?
Le second plan européen est d'une toute autre ampleur car il a été discuté et structuré à partir de trois types d'interventions possibles. Première possibilité (à l'américaine) : récupérer les actifs douteux d'une banque, lui donner du cash à la place, puis revendre - ou plutôt tenter de revendre - ces actifs toxiques.
Deuxième option (à l'européenne) : prendre des participations dans une banque en lui versant du cash. Cette entrée d'un Etat dans le capital d'un établissement se veut, en principe, temporaire. Il faut espérer que la plupart des banques vont se redresser et donc se revaloriser, ce qui permettra à l'Etat actionnaire de revendre sa participation en faisant une plus-value.
Troisième voie (à la britannique) : garantir les prêts entre les banques afin d'assurer au prêteur qu'il récupérera, quoi qu'il arrive, son argent. C'est le principe de la caution. Ce dispositif ne coûte rien tant qu'un emprunteur ne fait pas défaut.
Le plan de sauvetage français repose, lui, sur deux piliers. Une enveloppe de 40 milliards d'euros est destinée à d'éventuelles recapitalisations. Par ailleurs, une société de droit privé est créée, la Société de refinancement. Elle est présidée par Michel Camdessus, ex-directeur général du Fonds monétaire international (FMI). L'Etat en sera actionnaire à hauteur de 34 %, ce qui lui donne une minorité de blocage. Les 66 % restants sont détenus par les banques. En échange d'actifs "de bonne qualité" (point sur lequel la ministre de l'économie Christine Lagarde a insisté) qui serviront de gage en cas de défaillance, elle refinancera les établissements de crédit en leur prêtant du cash. L'Etat se portant garant à hauteur de 320 milliards d'euros. Cette approche vise à permettre aux banques de prêter de nouveau aux entreprises et aux particuliers. Elle n'a pas pour objectif direct de faire refonctionner le marché interbancaire. C'est donc un mécanisme différent de celui promu par les Britanniques.
3) Comment chaque pays a-t-il fixé le montant du plan de sauvetage ?
Les ratios, les résultats, etc., sont connus, mais il n'est pas pensable qu'un Etat ait une parfaite connaissance des bilans des banques. Concernant les montants des plans de sauvetage retenus, des discussions ont eu lieu au sein des gouvernements de la zone euro et les chiffres sont à peu près proportionnés au PIB respectif de chaque Etat. Les ordres de grandeur sont comparables.
4) Les banques françaises en ont-elles besoin ?
Les banques françaises sont des établissements dits universels : elles ont des activités diversifiées. Elles investissent mais sont aussi des banques de dépôt. Même si certaines souhaiteraient faire appel au plan de sauvetage, elles n'osent sans doute pas sauter le pas pour éviter de se "signaler" au public et de rentrer dans une possible spirale de défiance. Qui plus est, il n'est pas certain que beaucoup de banquiers aient envie, en cas de recapitalisation, de voir l'Etat décider (un peu) à leur place.
Si les banques françaises persistent dans cette attitude, il leur faudra trouver des investisseurs pour conforter leurs fonds propres. Elles pourraient se tourner vers la Russie, la Chine, les pays du Golfe, etc.
5) Les montants dégagés sont-ils suffisants ?
Il est difficile d'en juger à la date d'aujourd'hui. Grâce aux mesures prises, les banques vont pouvoir obtenir des liquidités et donc alimenter la machine économique en distribuant des crédits aux entreprises et aux particuliers. De même, elles amélioreront leur solvabilité si elles acceptent d'être recapitalisées. Mais sur ce dernier point, une remarque : l'enveloppe de 40 milliards d'euros sera-t-elle suffisante ? Paris a déclaré qu'il ne laisserait tomber aucun établissement bancaire. Implicitement, cela signifie que le gouvernement est prêt à porter secours à l'ensemble des établissements français... donc à dépenser 3,5 fois le PIB. C'est inimaginable...
Toutes ces mesures sont des rustines. Elles se substituent au marché interbancaire mais ne le relancent pas. Ce dernier a beaucoup de mal à repartir : les établissements ne se font pas assez confiance entre eux pour se prêter. Si les Bourses ne montrent pas une tendance à la hausse, les gouvernements risquent d'être obligés de prendre d'autres dispositions.
6) D'où vient l'argent ? C'est l'un des aspects les plus simples. Le monde entier court après des bons du Trésor ou des obligations d'Etat, encore perçus comme un refuge. La crise financière n'a pas fait disparaître l'épargne. L'appétit pour de la dette publique est fort chez les Chinois, les Russes, mais aussi en Europe, dans les fonds de pension, par exemple. Les fonds souverains à eux seuls ont un portefeuille de l'ordre de presque 3 000 milliards de dollars.
7) Est-ce de la création de monnaie ?
Au niveau mondial, il ne s'agit pas de création de monnaie, plutôt d'un transfert. Un Etat émet des obligations ou des bons du Trésor qui sont souscrits par tel ou tel prêteur, qui lui verse du cash en échange. Ces liquidités sont ensuite distribuées dans l'économie. Si le prêteur est de la zone euro, les liquidités passent d'une main à l'autre sur le territoire de la zone. S'il est extérieur à la zone, les liquidités en devises doivent être converties en euros, mais cela ne crée pas forcément de la monnaie. Quoi qu'il en soit, il est clair que l'Etat augmente son taux d'endettement brut.
8) Est-ce inflationniste ?
Pour beaucoup d'Etats, l'inflation serait une solution à la progression importante de leur taux d'endettement. L'inflation est, en effet, une manière de transférer du revenu, du créancier au débiteur. Les revenus de celui-ci augmentent (en valeur nominale) alors que le montant de sa dette se déprécie. C'est plus facile que d'augmenter les impôts !
Mais ce n'est pas si simple de "faire" de l'inflation, surtout depuis l'indépendance des banques centrales qui, comme la Banque centrale européenne (BCE), veillent farouchement sur la hausse des prix. Aux Etats-Unis, la Réserve fédérale n'a pas pour seul objectif, contrairement à la BCE, la lutte contre la hausse des prix. C'est pourquoi un certain nombre d'observateurs pensent que le gouvernement américain pourrait pencher en faveur d'une inflation plus élevée pour régler la question de l'endettement.
Cette technique n'a rien de nouveau. Après la seconde guerre mondiale, la Grande-Bretagne affichait un taux d'endettement de 300 % de son produit intérieur brut. Taux qui a diminué au cours des années grâce à une inflation élevée. Il est vrai qu'à cette époque, les banques centrales n'étaient pas indépendantes.
9) Qu'est-ce que l'injection de liquidités ?
Prenons l'exemple de la BCE. Une banque lui demande des liquidités. Elle va prendre en pension des titres détenus par l'établissement, et les mettre de manière temporaire à son bilan. Parallèlement, elle va créditer le compte BCE de la banque - toutes les banques de la zone euro ont un compte à la BCE - et lui transmettre ainsi du cash.
Pendant le temps que dure l'opération, l'établissement bancaire voit juste l'actif de son bilan modifié : moins de titres mais plus de cash.
Quand la banque rembourse la BCE, elle réintègre les titres qu'elle avait mis en pension, l'actif de son bilan retrouvant sa structure initiale.
C'est un mécanisme classique. L'Eurosystème, cette structure qui regroupe la BCE et les banques centrales de la zone euro, passe son temps à créer de la monnaie et à en détruire.
10) Le coût figure-t-il dans le budget de l'Etat ?
Ces sommes correspondent à de la dette publique. L'Etat s'endette pour pouvoir fournir des liquidités aux acteurs économiques. Si l'on prend l'exemple de la France, l'ensemble du plan de relance est évalué à environ 400 milliards d'euros en incluant d'autres mesures de soutien (aides aux PME et aux promoteurs immobiliers), soit 20 points de PIB (1 point de PIB = 20 milliards d'euros environ).
Actuellement le taux des emprunts d'Etat à cinq ans est, pour la France, de 3,3 %. Si ces 400 milliards d'euros étaient mobilisés, le coût de la dette (les intérêts versés) serait donc de 13 milliards par an. Somme qu'il faut ajouter aux intérêts déjà versés pour la dette publique française actuelle (1 200 milliards), qui représentent 40 milliards d'euros.
Ces calculs traduisent l'hypothèse haute, c'est-à-dire si l'ensemble du plan de relance est mobilisé. Et c'est un montant brut, car l'Etat pourra très bien se désendetter s'il revend ses prises de participation, en faisant une bonne affaire.
On le sait peu mais seuls les intérêts de la dette sont inscrits dans le déficit public. Le déficit public français pourrait donc être aggravé de 13 milliards. Mais c'est sans tenir compte des commissions que l'Etat compte prélever sur les banques, en rémunération de la liquidité qu'il offrira, somme qu'il est évidemment difficile de chiffrer aujourd'hui. Par ailleurs, il faut mettre ce montant en face des objectifs du gouvernement.
Si le plan de sauvetage permet de sauver un point de croissance, soit 20 milliards, produisant 9 milliards d'euros de recettes supplémentaires puisque la pression fiscale est de 44 %, alors l'opération ne devient plus déficitaire que de 13 - 9 = 4 milliards d'euros. C'est le pari.
Rappelons que le déficit budgétaire est fixé dans le projet de budget 2009 à 52,1 milliards et que la dette publique remontera à 66 % du PIB en 2009.
11) Cela annonce-t-il un plan de rigueur ?
Politiquement, une telle annonce serait difficilement tenable. Qui plus est, est-ce la bonne solution ? Nous n'avons sans doute encore rien vu de la crise réelle. Ne faudrait-il pas plutôt un plan de relance ? Que va-t-il se passer ainsi pour les ménages français qui se sont fortement endettés (crédit-relais, etc.) pour l'achat de leur résidence principale ? Le rapport de Michel Pébereau réalisé en 2005 pour le gouvernement d'alors a alerté, à juste titre, sur l'ampleur de la dette publique française. Mais les circonstances actuelles qui sont tout à fait exceptionnelles peuvent conduire à l'augmentation du taux d'endettement de l'Etat sans que le pays ne courre un véritable danger, surtout si l'augmentation de la dette a pour contrepartie une hausse des actifs détenus par l'Etat. Il n'y a aujourd'hui aucune anticipation de défaut de l'Etat. L'Italie vit depuis des années avec un taux d'endettement équivalent à 120 % de son PIB. S'il y a de l'épargne en face, le risque est faible.
12) Pourquoi créer deux établissements ?
Ces deux établissements ont été créés afin de montrer que ce dispositif est bien temporaire. La Banque de France est de plain-pied dans l'Eurosystème et le Trésor gère déjà, à travers ses agences, les emprunts et les participations de l'Etat. Mais il fallait marquer la volonté gouvernementale d'agir en temps de crise sans pérenniser le dispositif choisi.
Des embauches ? Il faudra certainement recruter. Sans doute pas des fonctionnaires. Toutes ces questions de garantie de liquidités, etc. sont très techniques, et beaucoup d'experts estiment que la formation classique, Sciences Po puis l'ENA, y prépare mal. Beaucoup de personnes s'interrogent d'ailleurs pour savoir si le retard pris dans la régulation des marchés n'est pas lié aux différences de compétences - et de salaires - entre les fonctionnaires et les jeunes talents des salles de marché. Les premiers ayant souvent un train de retard vis-à-vis des seconds.
Mais regardons aussi ce qui se passe aux Etats-Unis, où les agents du Trésor sont très bien payés et, souvent, issus des grandes banques d'investissement. Ils connaissent bien les techniques bancaires... parfois même trop bien !
13) Qui, in fine, va payer ?
Nous assistons d'abord à un partage international des pertes entre les pays créanciers et les pays débiteurs. La Chine et le Japon, créanciers des Etats-Unis, ont investi dans de nombreux établissements américains dont la valorisation a baissé. Ils sont donc déjà perdants. Tout comme certains pays européens qui étaient détenteurs d'actifs américains.
Il y a aussi un partage national des pertes entre les contribuables, les actionnaires et les ménages. Aux Etats-Unis, ce partage est plus favorable aux actionnaires. Le rachat des actifs "pourris", prévu dans le plan Paulson, revalorise les banques, donc leurs actionnaires. En revanche quand il y a nationalisation partielle d'un établissement, l'arrivée d'un nouvel actionnaire, en l'occurrence l'Etat, dilue le capital et donc spolie les actionnaires déjà en place.
Quoi qu'il en soit, l'endettement supplémentaire de l'Etat peut, en cas de rigueur budgétaire affichée et obligatoire (le respect du pacte de stabilité, par exemple, qui fixe à 3 % du PIB le déficit budgétaire), et si les opérations en capital en cours se révèlent perdantes, se traduire soit par une hausse des impôts, soit par une baisse des dépenses de l'Etat (éducation, santé, politique de l'emploi, etc.), ce qui aura un impact sur la qualité de vie des contribuables et des ménages en général. Et si un Etat laisse grimper l'inflation pour dévaloriser son endettement, ce sont les ménages qui en feront les frais puisque leur pouvoir d'achat baissera.
14) Ces mesures suffiront-elles ?
Ce n'est pas évident. Le marché interbancaire reste frileux. Il faudra peut-être un plan européen, voire international, de garantie interbancaire.
D'autres mesures sont nécessaires. La question des normes comptables est importante. Depuis quelques années, c'est le mark to market qui a fait loi, c'est-à-dire la valeur de marché trimestre par trimestre. C'est un cercle vicieux car à mesure qu'une banque voit ses actifs se dégrader, elle est obligée de les vendre ce qui fait encore plus baisser la Bourse... Il serait plus raisonnable d'évaluer les actifs selon d'autres méthodes. Pourquoi pas une moyenne historique ? Les gouvernements se sont penchés sur cette question lors du Conseil européen de Bruxelles.
Enfin, que dire des plans de recapitalisation ? Certes, les montants avancés sont importants (40 milliards d'euros pour la France) mais la valeur globale des banques est équivalente à 3,5 fois le PIB ! Que se passera-t-il s'il est nécessaire un jour de sauver l'ensemble des banques françaises ?
Pourquoi ne pas se poser, sans aucun a priori, les questions qui ont occupé les pays en développement dans les années 1980, c'est-à-dire, une restructuration de la dette des banques ou bien envisager une conversion forcée des dettes en actions ?
Toutes ces mesures seraient évidemment très compliquées à mettre en place : il existe 8 000 banques environ en Europe, dont 44 de grande taille : les dettes des unes sont bien souvent les actifs des autres. Mais, en dernière extrémité, il n'y aura peut-être pas d'autre choix.
Propos recueillis par Marie-Béatrice Baudet et Adrien de Tricornot
Article paru dans l'édition du 19.10.08

Crise : le procès d'une perversion du capitalisme

Personne n'imaginait que la situation était grave au point que le paralytique doive racheter l'aveugle", déclarait au Monde l'économiste Daniel Cohen, commentant le rachat le 16 mars quasiment "pour un franc symbolique" de la banque d'affaires en pleine débâcle Bear Stearns par la banque JP Morgan. Cette nouvelle inouïe faisait tomber le dollar à son niveau le plus bas face à l'euro, déclenchant un vent de panique chez les investisseurs qui se précipitaient sur l'or et les emprunts d'Etat. Daniel Cohen, professeur d'économie à l'Ecole normale supérieure, auteur notamment de Trois Leçons sur la société post-industrielle (Seuil, 2006) – et éditorialiste associé au Monde –, annonçait alors une accélération du processus : "Le château de cartes s'effondre. Une aversion au risque s'installe. Les banques ne se font plus confiance entre elles. Le coût du financement se durcit (…). La défiance engendre la défiance et le système financier s'installe dans un cercle vicieux." Il appelait à "faire sauter les barrières intellectuelles" et à l'intervention de l'Etat.
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Aujourd'hui, Etats-Unis et Grande-Bretagne en tête, les Etats nationalisent les banques et garantissent l'épargne populaire pour éviter la répétition d'un scénario à la 1929. La barrière intellectuelle – le dogme de la main invisible et de l'autorégulation du capitalisme, la liquidation de l'Etat, le "laisser-faire" dans les marchés financiers – a volé en éclats. La période du libéralisme sans entraves ouverte par Margaret Thatcher et Ronald Reagan, du capitalisme financier dérégulé et des golden boys jouant avec des titres douteux et l'argent des autres semble révolue. Comment en sommes-nous arrivés à une telle défaite des grands principes du capitalisme réglementé et moralisé apparus après la grande crise de 1929, ses millions de chômeurs et ses conséquences politiques désastreuses – la montée de l'extrême gauche et du fascisme ? Comment avons-nous oublié les leçons de John Maynard Keynes, Hyman Minsky ou James K. Galbraith sur l'instabilité financière, le rôle décisif du politique et d'un Etat-providence dans les périodes difficiles ? Faut-il parler de "révisionnisme", comme le suggère Daniel Cohen ? Entretien.
Dans les années 1980, déjà, on voyait les golden boys et les yuppies, les premiers héros de Wall Street, lessivés par le krach de 1987. Cette dérive du capitalisme financier ne date pas d'aujourd'hui ?
Daniel Cohen : Les années 1980 ont vu la fin de ce qu'on peut appeler le capitalisme "managérial", le capitalisme industriel issu de la grande tradition "fordiste". C'était un âge où les employés passaient parfois leur vie dans la même entreprise, profitant d'avantages sociaux conséquents. Ce capitalisme s'est déployé après guerre, dans les années 1950-1960. Il prolongeait la révolution industrielle des années 1920, une époque où les grands capitaines d'industrie remplacent les patrons issus du capitalisme familial du xixe siècle. A la suite de la grande crise de 1929 qui a ruiné des milliers d'entreprises, fabriqué des millions de chômeurs, la Bourse a été disqualifiée. Durant les années d'après guerre, elle ne donnait quasiment plus son avis sur la gestion des firmes, laissant le champ libre aux "managers". La spéculation, les coups de Bourse étaient déconsidérés.
En 1924, Erich von Stroheim tourne Les Rapaces, son chef-d'œuvre sur les conséquences sociales de la cupidité. En 1987, les traders Michael Milken et Ivan Boesky inspirent Wall Street d'Oliver Stone, en déclarant "Greed is good", la rapacité est bonne. Juste avant d'être emprisonnés pour délit d'initié. Nous n'apprenons jamais ?
Beaucoup aujourd'hui instruisent le procès du capitalisme financier contemporain au regard de ce qu'avait été le capitalisme industriel, souvent interprété comme un capitalisme social. Essayons de démêler tout cela… Le point de départ de ce bouleversement sont les années 1980 avec la dérégulation du marché financier. Cette révolution financière, développée par Margaret Thatcher et Ronald Reagan, ouvre à Wall Street un nouveau champ d'action : le démantèlement des vieux conglomérats, la mise en coupe des entreprises les moins rentables. C'est la fin du capitalisme managérial. En même temps, avec l'effondrement du bloc soviétique en 1989, la mondialisation commence… C'est la toile de fond de la crise actuelle.
Comment en est-on arrivé à rejeter l'Etat-providence, à décrédibiliser John M. Keynes, tout ce système inventé pour empêcher une nouvelle crise de 1929, et qui a fait les beaux jours des années 1950-1960 ?
Avec Reagan et Thatcher, on passe d'une "ambiance intellectuelle" à une autre, on change de paradigme. Après guerre, les pays industrialisés sont profondément marqués par un mode de fonctionnement qu'on peut résumer par une trilogie : le keynésianisme, le fordisme, l'Etat-providence. Pour Keynes, qui a beaucoup influencé les gouvernements anglo-saxons avant et après la guerre de 1939-1945, la politique économique, la politique monétaire, la politique budgétaire peuvent réguler les cycles économiques, soutenir la consommation et la demande donc la production, tendre à l'équilibre du plein-emploi. Cet équilibre, explique-t-il dans la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie (1936), n'est jamais atteint mécaniquement par le jeu des marchés. Cela ne l'empêche pas de défendre l'esprit d'entreprise, le marché, mais il faut à ses yeux les réguler par des politiques macroéconomiques appropriées. Le fordisme, la grande entreprise capitaliste, lie de son côté le destin des ouvriers à celui de la firme. On y fait carrière, on trouve sa place à l'intérieur de l'appareil de production, on profite d'avantages sociaux. L'Etat-providence enfin complète et corrige ces deux processus. Il lance des grands travaux, intervient dans la production via les grandes entreprises nationales, etc. En même temps, il généralise l'aide sociale. Dans les années 1950-1960, la Sécurité sociale protège tous ceux qui ne sont pas dans le processus de production, les personnes âgées, les femmes en maternité, les chômeurs, considérés comme peu nombreux. Tout ce qui se passe au niveau de la vie professionnelle est censé être pris en charge par l'entreprise. C'est ce système qu'on quitte dans les années 1980.
Une réelle nostalgie de l'Etat-providence se développe aujourd'hui que la crise est là. Pourtant nous ne sommes plus dans la situation de plein-emploi, de consommation et de productivité florissantes des "trente glorieuses".
Nous avions certainement pas mal vécu dans les années 1950-1960, même si le système ne fonctionnait pas si bien. Derrière la politique économique keynésienne, il y a l'entreprise très organisée, qui structure toute la société, de l'ouvrier spécialisé à l'ingénieur. Tout n'est pas rose : le travail à la chaîne met le "travail en miettes", pour reprendre l'expression du sociologue Georges Friedmann. Néanmoins, l'usine donnait alors une force et une dignité à la classe ouvrière, fière de sa place à l'intérieur de la société. En même temps l'Etat- providence est très différent en Allemagne, en France ou en Suède, épousant à chaque fois les conditions singulières de sa mise en œuvre. Ce système va rencontrer ses limites dans les années 1970 avec ce qu'on a appelé la "stagflation", c'est-à-dire la hausse simultanée du chômage et de l'inflation, après le premier choc pétrolier. Dans le schéma de Keynes, soit on a du chômage, mais alors des prix faibles et supportables, soit on a du plein-emploi, et un risque inflationniste – c'est ce qu'on appelle la courbe de Phillips. Ce système connaît un dysfonctionnement dans les années 1970. Nous n'assistons pas à un déficit de la consommation, mais à un choc négatif de la productivité des entreprises, de leur solvabilité. Tout à coup le système keynésien se trouve décrédibilisé parce qu'il ne produit pas les bonnes recettes à ce moment-là – et seulement à ce moment-là.
C'est l'époque des politiques de relance qui ne marchent pas. Mais comment expliquer la prise de pouvoir du capitalisme financier ?
Tous les gouvernements, celui de Mitterrand parmi d'autres, essaient de faire de la relance de la consommation comme le voulaient les préceptes keynésiens. Ces politiques échouent, toutes. En même temps, les charges de l'Etat-providence augmentent avec le chômage, il part bientôt à la dérive, fait l'objet de plans de rigueur draconiens. Quant au type d'organisation du travail du fordisme, avec ses plans de carrière ouvrière, sa politique sociale, ses syndicats, il n'apporte plus de gains de productivité. Cette remise en question des gains de productivité des entreprises mène directement à Reagan et Thatcher, c'est-à-dire au démantèlement de l'organisation du travail et des syndicats, à l'éclatement des organisations managériales, et à la prise de contrôle par la Bourse du fonctionnement des entreprises. C'est une rupture essentielle. En quelques années, les managers, qui étaient des salariés comme les autres, sont sortis de la condition salariale, voient leurs destins indexés sur la Bourse. La révolution financière commence là. Elle donne le pouvoir aux actionnaires, indexe la rémunération des patrons sur la Bourse, ce qui explique l'explosion de leurs salaires. Ils vont désormais se soumettre aux impératifs de la Bourse, puisqu'ils en sont dorénavant partie prenante…
C'est aussi l'époque où des économistes comme Friedrich Hayek, Milton Friedman, l'école de Chicago imposent leurs vues aux politiques. Ils refont l'éloge de "la main invisible", tant décriée en 1929.
En effet, politiques et économistes substituent dans les années 1980 un contre-paradigme à Keynes, s'appuyant sur Milton Friedman et ceux qu'on a appelés les "néomonétaristes". Ils prônent l'inactivité de l'Etat comme principe de régulation. Ils dénoncent l'Etat-providence comme coupable de toutes les erreurs et de la perte de compétitivité des entreprises. Le marché dérégulé est posé comme infaillible, le chômage comme naturel, l'inflation un phénomène purement monétaire. Il est sûr que la vogue pour ces théories, ce " fondamentalisme du marché " très critiqué par la suite par le prix Nobel d'économie (2001) Joseph Stiglitz par exemple, a beaucoup joué dans le développement d'un capitalisme financier laissé à lui-même. Une question demeure cependant : pourquoi, en dépit de crises récurrentes, cette époque a-t-elle duré si longtemps ?
Depuis le premier krach de 1987, nous avons vu les crises et les bulles se multiplier. Elles semblent être chroniques, pour ne pas dire systémiques.
On constate une grande crise par décennie. A la fin des années 1980, après le krach de 1987, les savings and loan, les caisses d'épargne américaines, font faillite. Elles sont sauvées par le président Bush père, avec un plan qui paraissait très important à l'époque, 125 milliards de dollars – aujourd'hui, nous en sommes déjà à 1 000 milliards. Ensuite, à la fin des années 1990, la bulle Internet éclate. Et maintenant, la crise immobilière est en train de dégénérer en une crise financière et économique générale. Des études comparatives sur les crises financières ont montré qu'elles s'accéléraient bel et bien depuis le choc pétrolier de 1973, même en comparaison de ce qu'elles étaient au xixe siècle. Pourquoi ? Ici encore, il faut bien démêler l'écheveau. Le coup d'envoi de la révolution financière est donné par les changements de gouvernance des entreprises, désormais soumises aux sollicitations de la Bourse. Sommées de produire des rendements rapides et concurrentiels, les entreprises vont se lancer dans une rationalisation effrénée de leurs coûts de fonctionnement et réduire leur champ d'activité au segment pour lequel elles développent véritablement un avantage comparatif. La norme, dans ce nouveau capitalisme financier, consiste à produire juste la tranche de la chaîne de valeur qui correspond à votre savoir-faire – ce qui constitue votre avantage comparatif. Tout le reste va être externalisé, mis en concurrence, laissé au marché. Par exemple, dans une entreprise des années 1950-1960, la cantine, le gardiennage, le nettoyage, la comptabilité étaient assurés par des salariés de l'entreprise. Cela faisait comme une grande famille, tout était produit sur place. Avec l'externalisation, plus aucun de ces services n'est produit par la firme, eux-mêmes sont mis en concurrence.
Cette maximisation touche aussi l'intérieur de l'entreprise, c'est l'époque du grand dégraissement…
A l'intérieur même de l'entreprise, toute l'activité tend à être segmentée, rendue plus efficace, jusqu'à ne conserver que le mince segment de la chaîne de valeur capable de faire la différence avec les concurrents. On tend ainsi vers des "entreprises sans employés", un processus qui a été accéléré par la révolution technologique et les nouvelles industries de la communication. Ces entreprises nouvelles ne sont plus de vastes groupements de travailleurs comme autrefois, effectuant tous les services, défendant leur emploi, elles deviennent des unités produisant l'avantage comparatif mis en concurrence par le marché. La mondialisation arrivant, élargissant la concurrence, offrant des mains-d'œuvre moins chères, va parachever ce processus. On ne voit pas comment cet aspect du capitalisme pourrait changer. Il est certain que les critiques qui commencent à être menées, au vu de la crise écologique grandissante et des problèmes sociaux, contre son "court-termisme" chronique auront plus de poids. Mais la dynamique du "capitalisme monde", éclatant la chaîne de valeurs aux quatre coins de la planète, ne devrait guère être modifiée. Ce serait naïf de le penser.
Cependant, le "capitalisme monde" d'aujourd'hui, en Asie notamment, subit les contrecoups des déréglementations actuelles. Comment cette crise est-elle devenue mondiale ?
La crise actuelle constitue une forme de perversion du système financier, une excroissance dangereuse et inutile jusqu'ici contenue. Dès 1987, juste après le premier krach boursier, nous aurions dû réfléchir. Mais c'est l'inverse qui s'est produit, avec l'arrivée d'Alan Greenspan à la direction de la Réserve fédérale américaine. Sous sa houlette, le meilleur et le pire vont alterner. Il va autoriser l'argent facile, libérer des liquidités considérables qui vont favoriser les opérations à haut risque financées à crédit. La finance du marché va fabriquer une nouvelle intermédiation financière totalement affranchie des règles qui pesaient sur le système financier classique. A la faveur de l'ambiance intellectuelle de la déréglementation voulue par Reagan, entérinée par Alan Greenspan, une deuxième couche d'intermédiation financière va apparaître, qui va doubler le circuit bancaire traditionnel. Ce qu'on appelle le shadow banking system. Il pèse 10 000 milliards de dollars, autant que le système bancaire classique, sauf que lui est affranchi des réglementations et des règles prudentielles qui s'appliquent aux banques de dépôts, n'étant pas pris dans le compas des régulateurs. Il s'agit de banques d'investissement qui se financent sur le marché, font des opérations de marché. Ce sont les hedge funds, les fonds de private equity, les compagnies d'assurances.
Prenez AIG, American International Group : en tant que compagnie d'assurances, elle n'était pas soumise à la même vigilance que les banques de dépôts. Elle a pu créer un département AIG Finances, qui s'est retrouvé le premier opérateur de ce qu'on appelle les credit default swaps, qui garantissent un créancier contre les risques de faillite du débiteur. Les banques commerciales jouent également à ce jeu, en développant des services financiers logés en dehors de leurs bilans, dans des structures ad hoc qui achètent allègrement les crédits risqués des subprimes. Cela le plus légalement possible, en profitant des trous dans le système de régulation, mais aussi d'un certain laxisme des autorités, qui auraient très bien pu s'apercevoir de la combine si elles avaient été plus vigilantes. Mais elles ne l'ont pas fait. Pourquoi ? Sans doute parce qu'elles étaient convaincues par le bain d'idées ambiant, ce nouveau paradigme du marché entièrement laissé à lui-même, selon lequel toutes ces opérations financières pouvaient s'autoréguler. Sans cela, elles auraient commencé à demander à ouvrir les livres de comptes.
Pour sa défense Alan Greenspan explique que l'Amérique voulait vivre à crédit, que c'était un "choix de vie", une "liberté fondamentale" – pris en partie sur le dos du reste du monde…
Alan Greenspan faisait un plaidoyer pro domo – d'autojustification. L'acte fondateur responsable de la séquence qui conduit à la crise, c'est la politique extrêmement libérale des taux d'intérêt du crédit menée par la Réserve fédérale. Les macroéconomistes, quel que soit leur horizon, s'accordent tous sur ce point. Après la crise du 11-Septembre, qui venait juste après l'éclatement de la bulle Internet, Greenspan a craint que la conjonction des deux événements ne provoque une récession. Il a donc mené une politique totalement laxiste de taux d'intérêt très bas par rapport aux normes nécessaires. Ce faisant, il a accéléré un processus explosif. D'une part, une énorme baisse de l'épargne des ménages américains et ensuite la formidable détérioration de la balance des paiements des Etats-Unis. Les Américains ont continué de dépenser et consommer comme s'ils étaient aussi riches qu'avant, ou que leurs voisins. Ils ont résisté à l'explosion des inégalités de revenu grâce au crédit. Ils se disaient : "Je ne gagne pas autant qu'un gars de Wall Street, mais je vais m'acheter la même voiture, le grand écran HD, etc.". A crédit. Le problème s'est redoublé du fait que Greenspan autorisait cette politique d'argent facile, qui a entretenu le boom immobilier – partout, y compris en France où les prix ont été multipliés par 2,5 entre 1997 et aujourd'hui. Le résultat a été de créer une accélération des crédits, puis la bulle immobilière que nous connaissons actuellement. On peut parler d'une grave erreur de politique économique.
Depuis vingt ans, Greenspan et tous ces financiers et traders de Wall Street étaient présentés comme les nouveaux héros du capitalisme, des sortes de génies incontournables. C'est la fin de cette époque ?
C'étaient un peu les nouveaux aventuriers de l'Arche perdue. Et ils le revendiquaient. Ils défendaient leurs primes colossales, ils disaient participer à l'expansion et à la croissance, ils se comportaient avec l'arrogance de nouveaux riches, se croyaient des révolutionnaires. C'était le genre "Oui, j'ai gagné 100 millions de dollars, et je vous emmerde. Il faudrait que tout le monde puisse le faire". L'ambiance intellectuelle et médiatique faisait qu'ils n'avaient même pas l'impression de fauter, ni économiquement ni moralement. Ils étaient l'avant-garde !
C'est cette avidité, cette inconscience qui vont être sanctionnées. Surtout si Barack Obama est élu, parce qu'il est démocrate, mais surtout parce qu'il va se trouver dans une situation de croissance très limitée, avec une énorme demande de redistribution. Aux Etats-Unis, les inégalités sont devenues tout à fait extravagantes. Les données collectées par mes collègues Thomas Piketty et Emmanuel Saez montrent que le 1 % le plus riche de la population a retrouvé le poids qui était le sien au début du XXe siècle, à l'âge d'or des rentiers : ils gagnent plus de 16 % du revenu national, contre 7 % après guerre. C'est une véritable perversion du capitalisme traditionnel. Dans son ouvrage classique L'Ethique protestante et l'esprit du capitalisme (1904), Max Weber explique que si le capitalisme ne se caractérisait que par l'avarice, l'envie d'argent, les inégalités, alors il se serait développé au Moyen-Orient chez les marchands phéniciens, ou dans la riche Venise du commerce des épices. Or il est apparu en Angleterre, puis s'est développé aux Etats-Unis et en Europe du Nord. S'il reconnaît que la cupidité, le greed, constitue un des ressorts fondamentaux de l'activité humaine, il montre comment le capitalisme des origines rationalise cet appétit, construit des rapports de confiance et de contrat, rééquilibre l'ensemble avec la libre concurrence, des règles, des lois, etc.
Dans une interview donnée au Journal du dimanche, Dominique Strauss-Kahn explique que les rémunérations colossales consenties aux traders comme aux dirigeants alimentaient le système. Qu'en dites-vous ?
C'est le cœur du système. Le Financial Times cite une étude calculant les rémunérations des grands dirigeants d'établissements financiers internationaux sur les trois dernières années. Ils ont trouvé 95 milliards, presque 100 milliards de revenus. Pour 1 000 milliards de pertes. C'est un mécanisme qui a bien été décrit par Paul Krugman, professeur à Princeton et chroniqueur du New York Times, à propos d'autres phénomènes de spirale, qu'il appelle "mécanisme panglossien" – de Pangloss, le héros de Voltaire qui croit vivre dans le "meilleur des mondes possibles". A partir du moment où des traders et financiers s'enrichissent sur l'argent des autres, qu'ils ne mettent pas sur la table leur propre capital, se financent à crédit pour monter des opérations, un mécanisme pervers se met en œuvre. Si ce crédit génère des gains, vous les partagez avec l'investisseur qui vous a financé – et vous remboursez votre dette. Si vous jouez sur 100, qu'il y a un gain de 10 %, vous l'empochez. Si vous jouez sur 1 000, vous gagnez 100. C'est là que la spirale s'installe. Vous êtes poussé à jouer sur la plus grande échelle possible, et à minimiser le capital investi pour avoir l'effet de levier maximum. Le problème c'est que si l'investissement est un "crédit pourri", insolvable, les pertes sont forcément pour celui qui vous a prêté : c'est-à-dire la société, les déposants ou ceux qui vont se protéger en mutualisant les pertes. Lorsqu'un investisseur n'est pas soumis à une réglementation qui l'oblige à apporter son propre capital, il ne voit que le meilleur des mondes possibles : c'est le mécanisme panglossien. Il ignore rationnellement le risque, parce que le principe de rémunération est asymétrique.
C'est vraiment " Pile je gagne, face tu perds "…
C'est cela. Le spéculateur ignore la perte, parce que s'il gagne, il gagne tout, et s'il perd, il perd éventuellement sa carrière, mais ce ne sera jamais proportionné au volume des pertes qu'il a fait subir aux autres. On ne peut pas "réinternaliser" sur un individu les risques qu'il a fait courir aux autres. Et pour tous ces financiers qui ont gagné 100 milliards pour 1 000 milliards de pertes, eh bien, ils ont toujours gagné leurs 100 milliards. Quant aux pertes, elles doivent être épongées par l'Etat et les contribuables. On pourra faire tout ce qu'on veut, on ne pourra jamais réinternaliser les 1 000 milliards que ces Pangloss ont fait perdre à la société. C'est la raison pour laquelle, aujourd'hui, sachant qu'on ne peut pas corriger le mal ex post, après coup, il faut instituer des réglementations ex ante, avant d'en arriver là.
Comment les régulateurs, les agences de notation ont-ils pu laisser faire ?
Nous sommes là à l'intersection du dysfonctionnement du système et de l'idéologie régnante du "laisser-faire", de la "rapacité est bonne". Les agences de notation ont joué un rôle essentiel dans la propagation de cette crise, en rendant possible la circulation d'actifs financiers réputés excellents mais qui se sont révélés des foyers de perte. Des agences de notation crédibles sont la condition nécessaire de la nouvelle finance de marché, et du processus appelé " titrisation " qui permet de revendre immédiatement une créance, hypothécaire par exemple, au lieu de la garder jusqu'à son terme. Or les agences de notation ont failli. Pourquoi ? Elles étaient des deux côtés de la barrière : payées pour labelliser des produits qu'elles avaient elles-mêmes aidé à fabriquer.
Quand on réfléchit avec le recul, c'est assez extraordinaire ! Tout l'équilibre financier international reposait sur le jugement d'agences qui, lorsqu'elles ont été attaquées, ont simplement répondu : "Mais nous donnions juste une opinion. C'est notre liberté d'expression. Vous n'étiez pas obligés de nous suivre…" Dans les faits, on était bien obligé de les suivre, leurs notations étaient exigées par un certain nombre d'investisseurs qui ne pouvaient agir que s'ils détenaient ces papiers. Nous sommes là encore face à une sorte de naufrage intellectuel où tout le monde se défend et se berce d'illusions en croyant que l'autorégulation se fera de par la grâce d'un marché omniscient.
Des dirigeants des pays du Sud comme Lula da Silva ont durement critiqué le laxisme du gouvernement américain, ils appellent à une régulation mondiale du capitalisme financier. Allons-nous vers la régulation ?
Tout le monde se met à parler "régulation", soit. La première erreur à éviter serait de croire qu'après cette crise le capitalisme va se moraliser tout seul. Que les comportements opportunistes d'hier, piqués au vif, partout critiqués, vont s'effacer. Mais les hommes persévèrent dans leur être. Comme dirait Spinoza, mieux vaut compter sur les lois que sur une improbable évolution de la nature humaine pour régler le destin des nations. Il faut donc impérativement de nouvelles lois financières. Or nous rencontrons deux attitudes naïves aujourd'hui. Une de droite, qui refuse de balayer devant sa porte, dit : "On a compris, on va se moraliser tout seul." Une de gauche, qui déjà claironne : "C'est le coup fatal porté au capitalisme." Mais le capitalisme, la mondialisation du marché vont continuer. Personne ne va mettre les Indiens et les Chinois à la porte, en leur demandant de ne plus vendre leurs produits sur le marché international. Et les nouvelles technologies permettront à qui le voudra d'externaliser les services en Inde et en Chine. Cette course du capitalisme contemporain ne sera pas changée par la crise financière.
En revanche, l'euphorie idéologique du "laisser-faire" et du mépris des pauvres va certainement prendre du plomb dans l'aile. Quant à la question de la réglementation, elle arrive. Alors, qui va devenir le producteur des lois de demain ? Les Etats-Unis sont décidés, je pense, à mettre de l'ordre dans les marchés financiers, y compris dans les excès en matière d'inégalités. En Europe, aussi, où on a nationalisé d'un coup les banques en difficulté, sans que la Commission européenne ne s'écrie, comme elle aurait dû : "Attendez ! Vous n'avez pas le droit de nationaliser." Beaucoup de dogmes vont tomber. Aucun fondamentaliste du marché ne va s'amuser à critiquer les gouvernements belge et néerlandais d'avoir nationalisé Fortis. C'est le contraire. Tout le monde est vraiment soulagé qu'ils l'aient fait.
Ce retournement si rapide du dogme a quelque chose de fascinant. Nous savions donc ?
Au moment du krach de 1929, les gouvernements ont laissé l'économie mondiale basculer dans la crise parce qu'ils étaient prisonniers des dogmes libéraux qui laissaient croire que la faillite d'une banque était bonne, et que cela faisait partie des mécanismes du marché roi. Des recherches récentes ont montré qu'ils étaient également les otages d'un étalon or qui rendait très périlleux l'usage de la politique monétaire. Et puis, ce furent les faillites bancaires en cascade, les entreprises fermées, les millions de chômeurs, etc. Une longue période de régulation financière a suivi, laquelle n'a pas si mal fonctionné : on n'observe aucune crise majeure du système bancaire durant les "trente glorieuses". Puis vinrent les années 1980. Beaucoup ont voulu effacer le souvenir de 1929, un véritable travail révisionniste s'engageait. Mais l'ombre portée de la période 1929-1933 est restée en réalité très vive, surtout aux Etats-Unis. La réaction presque immédiate du gouvernement Bush, de Ben Bernanke à la Réserve fédérale, en témoigne. Ils n'ont pas hésité un instant à nationaliser.
L'économie réelle maintenant va subir le contrecoup de cette crise financière. Quel scénario envisagez-vous ?
Nous allons assister à un rétrécissement général du crédit, un credit crunch. Les banques, prisonnières de leurs pertes, ou par peur tout simplement, vont réduire la voilure du crédit. Le ralentissement économique va suivre, il est déjà évident en France. L'Insee prévoit une croissance négative, en glissement, du 1er janvier au 31 décembre de cette année. Cela risque de s'aggraver, car la récession actuelle n'est en fait pas (encore) liée à la crise financière, mais à la hausse du prix des matières premières et à la poussée d'inflation qui a suivi. Ce n'est véritablement qu'à partir de l'été que la crise financière a commencé à mordre. Deux acteurs vont être victimes de la réduction du crédit, les ménages et les entreprises. Les ménages, surtout du côté du crédit immobilier. Si l'effet de vases communicants se fait rapidement, cela peut être sain, parce que les prix vont baisser, alors qu'ils devenaient extravagants. Mais cela restera ambigu pour les ménages. Du côté des entreprises, c'est ennuyeux, parce que les fondamentaux étaient bons. Il va falloir suivre avec beaucoup d'attention leurs difficultés de financement, qui vont vite devenir palpables. Elles risquent de casser durablement leur dynamisme. Le credit crunch va frapper un corps sain, et toute la question devient : combien de temps cela va-t-il durer ? Est-ce que ce sera long et durable, comme au Japon, c'est-à-dire plus de dix ans ? Ou est-ce qu'avec les 1 000 milliards de dollars américains et les nationalisations européennes, cela va passer sans trop de casse ? Cette hésitation se traduit dans la valse actuelle des Bourses. Ce qui me semble certain, c'est que nous sommes partis pour un 2009, sans doute un 2010, en berne, deux années noires qui s'accompagneront de beaucoup de remises en question sur le terrain politique, en France et ailleurs.

jeudi 9 octobre 2008

LES BANQUES SEULES IMMORTELLES !


JUSTE UNE PROPOSITION ET UNE REFLEXION.

Depuis quelques jours les états s’engagent à soutenir les banques et à les préserver de la faillite ce qui est une bonne décision pour préserver ver le monde d’une faillite généralisé.

En contre parti ces banques « protégé par les états » laissent tomber leur vocation première : soutenir l’économie au travers des entreprises et des entrepreneurs :

Prenons l’exemple de notre nation la France :

Qui est ce qui fait tourner l’économie : les entreprises !

Qui doit soutenir les entreprises pour les investissements , les découverts passager , les crédits , les frais ………. Les préserver de la faillite : les banques !


CONCLUSION :

Qui condamnera a mort une entreprise par la faillite : la banque !

Qui est qui ne fera jamais faillite : la banque !

Qui est ce qui soutien les banques de la faillite au travers des états : les contribuables dont les entreprises et les particuliers qui travaillent dans ces entreprises.

mardi 7 octobre 2008

Jacques Attali, Alain Minc et la crise financière


v. dayan pour l'express

Alain Minc : "On a de bonnes chances de basculer dans la confiance". Jacques Attali : "Cela prendra du temps".






Jacques Attali, Alain Minc et la crise financière
Par Benjamin Masse-Stamberger, Bruno Abescat, mis à jour le 07/10/2008 19:48:25 - publié le 07/10/2008 10:29
L'Express a réuni l'ancien sherpa de Mitterrand à l'Elysée et le conseiller des grands patrons. Ils débattent sur les raisons et les conséquences de la tempête qui secoue l'économie mondiale. Jamais l'avenir n'a été si incertain.
Depuis le début de cette crise, Jacques Attali, vous avez fait très tôt un parallèle avec 1929. Et vous, Alain Minc, quelle est votre analyse de la situation ?
Alain Minc :Jacques avait raison sur le diagnostic théorique, mais la grande différence avec 1929, c'est que, si les Etats avaient fait ce qu'ils sont en train de faire aujourd'hui, alors peut-être aurait-on évité Hitler. A présent, il s'agit de savoir si une succession de rustines intelligemment placées permettra de maintenir sous contrôle la propagation de la crise.
Alain Minc : "On a de bonnes chances de basculer dans la confiance". Jacques Attali : "Cela prendra du temps".
Je crois que ce sera le cas en Europe. On voit bien les deux ou trois établissements bancaires qui sont en danger, mais le problème est gérable. Aux Etats-Unis, la situation est plus compliquée. Le plan Paulson est très courageux, mais la bonne solution aurait été d'orchestrer l'entrée temporaire de l'Etat au capital des banques. Mais, pour les Américains, idéologiquement, cela aurait été un pas de trop.
Jacques Attali : La question, aujourd'hui, est de savoir si on va passer directement en 1945. Autrement dit, si on va pouvoir mettre en place de nouvelles structures de gouvernance sans avoir à subir l'agonie du système. Les causes profondes sont simples : nous avons vécu une globalisation du marché sans globalisation de l'Etat de droit. Nous avons laissé se développer les hedge funds et les produits dérivés sans contrôle, et souvent dans des paradis fiscaux. Et nous voici devant une équation infernale : d'un côté, le plan Paulson et ses 700 milliards de dollars ; de l'autre ses 2 700 milliards d'actifs invendables dans les banques américaines. D'un côté, un PIB mondial qui s'élève à 50 000 milliards ; de l'autre, un marché des dérivés au moins de l'ordre de 350 000 milliards. Que fait-on ? La seule chose certaine, pour l'heure, c'est que le capitalisme financier l'emporte. Le système est peut-être sauvé pour un temps. Par le gouvernement américain, menacé de devenir une annexe de Wall Street. Et par la Banque centrale des Etats-Unis, qui récupère des titres dont beaucoup ne vaudront bientôt plus rien.
Alors qui va payer ?
Jacques Attali : A terme, c'est soit le contribuable, par le biais de l'augmentation des impôts, soit le consommateur, victime de la restriction du crédit, soit l'épargnant, dont les fonds seront rognés par l'inflation. Tout le monde perd, sauf le capitalisme financier.
Pensez-vous que le risque de crise systémique est désormais écarté ?
Jacques Attali : Bien sûr que non. On ne sort pas d'une crise majeure comme cela. Le coeur des sociétés démocratiques, c'est la confiance. Si on bascule dans une économie de la peur, de la panique, il ne faut pas l'aggraver par des annonces intempestives.
Alain Minc : Moi qui suis optimiste, j'ai tendance à penser qu'on a tout de même de bonnes chances de basculer dans la confiance...
Jacques Attali : Le rétablissement de la confiance prendra du temps et nécessitera des mesures exceptionnelles mais réalisables. Il faut interdire les marchés à terme aux institutions financières (sauf pour faire de la couverture de risque de transactions réelles) et leur demander de cesser toutes relations avec les paradis fiscaux et les hedge funds. Mais si, un jour, les rehausseurs de crédit, les émetteurs de cartes de crédit ou les hedge funds devaient être menacés, ce serait alors une tout autre histoire.
Globalement, cette crise vous paraît-elle avoir été bien gérée ?
Alain Minc : D'abord, je voudrais rendre hommage à celui qui, le 8 août 2007, a mis 75 milliards d'euros sur le marché, c'est-à-dire à Jean-Claude Trichet. Car c'est bien la Banque centrale européenne qui est intervenue la première. Elle a été suivie par la Réserve fédérale et le Trésor américains. Le « top départ » a donc été parfaitement donné. Sans doute fallait-il aller plus vite en matière de régulation. Mais il faut tenir compte du contexte idéologique américain. Il fallait vraiment que la crise empire pour que l'administration Bush accepte d'aussi gigantesques entorses à sa vision du monde.
Jacques Attali : Il faut ajouter à ce tableau d'honneur la France, qui a très bien géré cette crise. En prenant les commandes, en ne paniquant pas, en ne parlant pas trop tôt. En revanche, plusieurs acteurs n'ont pas fait ce qu'ils auraient dû faire : le premier, c'est la Banque d'Angleterre, qui a géré cette tempête en dépit du bon sens. Le deuxième, c'est le Trésor américain - sa trop visible collusion avec Wall Street a explosé en vol. Enfin, Bruxelles n'a pas montré une grande capacité d'initiative.
Alain Minc: A cet égard, ce à quoi l'on vient d'assister est la justification du traité de Lisbonne et du rôle d'un président stable du Conseil européen. Quand l'Europe est dirigée par une personnalité qui occupe l'espace, elle existe. Cela plaide pour que ses présidents soient des stars, comme Tony Blair, et non des gens un peu gris. Cela est vrai pour la crise financière comme pour l'affaire géorgienne. Blair aurait pu faire ce qu'a fait Nicolas Sarkozy. Mais pas Jean-Claude Juncker, quelles que soient ses qualités.
Dans son discours de Toulon, Nicolas Sarkozy a évoqué la nécessité de trouver et de punir les responsables. Est-ce la bonne méthode ?
Jacques Attali : A mon sens, non. Il ne s'agit pas de trouver des responsables, mais plutôt d'identifier les mécanismes qui nous ont conduits là.
Alain Minc : Prenons le cas de Richard Fuld [l'ancien PDG de Lehman Brothers]. Il a refusé une proposition de rachat de sa banque parce qu'il estimait que la prime n'était pas suffisante. Estimez-vous que c'est une faute pénale ?
Jacques Attali : On peut penser malgré tout qu'une fois la crise passée l'opinion publique réglera ses comptes avec ses élites. [En France,] elle dira : on est obligés de créer un impôt nouveau pour financer le revenu de solidarité active (RSA) et, en dix minutes, on trouve 3 milliards d'euros pour une banque ! Il est donc très important de commencer, dès maintenant, la pédagogie parce que, sinon, les accusations vont monter contre l'économie de marché.
Alain Minc: Je ne suis pas aussi pessimiste, mais je pense malgré tout que la bourgeoisie, comme on dit en langage marxiste, n'a pas intérêt à scier la branche sur laquelle elle est assise. Or, quand je vois certaines attitudes réactionnaires à propos du financement du RSA, ou des parachutes dorés, je suis perplexe...
On évoque beaucoup 1929, mais les conséquences économiques sont sans comparaison. Comment voyez-vous la suite ?
Alain Minc: Je suis nettement plus optimiste qu'au mois de juillet, quand la stagflation menaçait. La stagflation, c'est un chewing-gum qui colle aux doigts pendant de nombreuses années ! Aujourd'hui, c'est plutôt la stagnation, ou une récession temporaire, qui se profile. Le risque inflationniste à court terme a diminué, et la politique de taux en tiendra compte le moment venu. On rebondira donc plus vite qu'on ne pouvait l'escompter avant même le paroxysme de la crise.
Jacques Attali : Il faut relativiser. Prenez la France : si le PIB devait chuter de 5 points, ce ne serait pas une catastrophe : cela nous ramènerait au niveau de vie que nous connaissions en 2000. Les problèmes sont de justice sociale.
Alain Minc : J'ajoute qu'on a quand même connu une extraordinaire période de croissance mondiale de 7 % par an. On ne peut pas faire une photo sans regarder le film...
Jacques Attali :... En plus, la France ne connaîtra pas une décroissance de 5 points. Mais, je le répète, un problème de justice sociale se posera, c'est certain. Même s'il est écrit dans le Talmud, si hostile à la pauvreté : « Quand le riche devient pauvre, il faut l'aider plus que les anciens pauvres, parce qu'il a pris l'habitude de vivre bien. »
Alain Minc: Je ne suis pas sûr que l'on puisse donner cela comme devise à Wall Street !
Jacques Attali : En revanche, dans les pays en développement, les conséquences d'un fort ralentissement économique seraient beaucoup plus graves. Les Chinois, par exemple, expliquent que, si leur croissance descend en dessous de 6 %, c'est leur système politique qui sera en danger. Certains vont même jusqu'à dire que la principale victime des subprimes, ce sera le Parti communiste chinois.
Alain Minc: La question est de savoir si le modèle de croissance chinois est durable ou non. Si c'est le cas, on sortira, cahin-caha, de cette affaire. Sinon, on va voir du paysage ! Et je suis incapable de faire un pronostic.
Jacques Attali: Personne n'en sait rien. Les Chinois affirment qu'ils sont obligés de soutenir les Etats-Unis parce que tous leurs avoirs sont investis là-bas. Il y a donc une connivence de fait entre les deux pays. C'est cette connivence qui devrait sauver l'économie mondiale.
Avez-vous le sentiment, comme l'a proclamé Nicolas Sarkozy, que « le laisser-faire, c'est fini », que nous vivons la fin d'une époque ?
Alain Minc : Le capitalisme fonctionne quand le marché et la règle de droit sont l'avers et le revers de la même réalité. Pour prendre une métaphore, la règle de droit sans le marché, c'était l'Union soviétique ; le marché sans la règle de droit, ça donne la Russie. C'est une course permanente entre les deux. Dans nos vieilles économies, cela se gère. Mais là où le problème se pose, ce sont dans les zones qui échappent entièrement à la régulation. Savez-vous que le principal port offshore du monde, c'est Londres ? L'Angleterre a développé une gigantesque zone franche : sa capitale.
Jacques Attali: Le système avance sur deux pieds : le marché s'élargit, et la démocratie s'élargit. L'un ne va pas sans l'autre. Aujourd'hui, la démocratie a pris beaucoup de retard. Alors, de deux choses l'une : soit le marché recule, et on assiste à un retour du dirigisme national, ce qui serait une catastrophe. Soit on applique ce qu'on a fait à chaque étape de l'Histoire, et c'est la démocratie qui avance. Mais ce n'est pas évident. Regardez l'Europe, qui est pourtant l'entité la plus avancée en la matière : on a bâti une monnaie unique, qui est le point ultime du marché, mais on n'a pas été capable de faire une démocratie unique, c'est-à-dire un Etat. Maastricht est un succès, Lisbonne est, pour l'instant, un échec.
Alain Minc : Cela dit - c'est sans doute mon optimisme européen - je note que, samedi dernier, les membres européens du G 8 se sont réunis avec la participation, exceptionnelle en l'absence des Américains, des Britanniques. Il y a donc bien une prise de conscience, non assumée mais réelle, de la convergence européenne.
Pour conclure, ne pensez-vous pas, sur le plan économique - comme ce fut le cas sur le plan géopolitique après le 11 septembre 2001 - que rien ne sera plus jamais comme avant après cette crise ?
Jacques Attali : On ne sait pas, en définitive, si nous sommes en mars 1933 aux Etats-Unis ou en mars 1933 en Allemagne... La vraie question, c'est de savoir si nous allons parvenir à accoucher de la règle de droit nécessaire à la globalisation, qui contient par ailleurs tant de promesses, technologiques et culturelles.
Alain Minc : Il ne faut pas qu'un lâche soulagement prévale trop vite. Si dans deux mois tout le monde se dit : « On est passé au travers », alors cette crise n'aura servi à rien.
Alain Minc vient de publier Une histoire de France, Grasset, 512 p., 21,90 euros.