DEMOCRATIE

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jeudi 23 octobre 2008

« Le capitalisme a un bel avenir devant lui… » Entretien

On dit déjà que « le libéralisme est enterré ». N’est-il pas frappé par ses excès ? Comment expliquez-vous cette explosion en chaîne qui dure depuis plus d’un an ?_ Il s’agit bien d’une réaction en chaîne. Le fait déclencheur, la crise des subprimes, mérite d’être regardé de près. Au départ, et avec les meilleures intentions du monde, les dirigeants politiques des Etats-Unis constatant que, selon le dicton, « les banques ne prêtent qu’aux riches », souhaitent rendre accessible à tous le rêve américain de la propriété individuelle. Pour cela, ils vont faire intervenir deux agences para gouvernementales, Freddie Mac et Fannie Mae qui bénéficient de la garantie implicite de l’Etat pour refinancer les crédits hypothécaires aux nouvelles acquisitions, et faire voter un arsenal législatif pour punir les banques qui ne prêteraient pas aux pauvres – et aux minorités…Avec la politique d’argent facile et bon marché favorisée par la Réserve fédérale à partir de 2001, ce système va s’emballer. La valeur de l’immobilier augmente, ce qui permet, dans le système américain, des prêts hypothécaires, de s’endetter encore plus.Ainsi tout est parti de la politique d’argent facile pratiquée par la Réserve fédérale et de l’intervention publique sur le marché immobilier. Ce sont d’ailleurs les plus libéraux qui ont le mieux vu et dénoncé cette double immixtion de l’Etat._ Que se passe-t-il ensuite ?En fait, le retournement initial du marché de l’immobilier et l’accroissement du taux de non remboursement des subprimes ne constituaient pas en soi un cataclysme. Le bon sens eut voulu que les autorités américaines transforment la garantie implicite qu’elles avaient donné en garantie explicite, c’est-à-dire qu’elles « nationalisent » les pertes bien plus tôt. Mais un malheur n’arrive jamais seul. La révolution financière qui a permis l’argent bon marché, le financement de la croissance et de la mondialisation, a aussi créé des instruments nouveaux qui ont eu pour conséquence de diminuer, de partager, de mutualiser le risque. Or ces mêmes instruments dès lors qu’ils incorporent une part d’actifs toxiques ont disséminé le mal à l’ensemble de la planète financière. Et les normes comptables et bancaires en vigueur au lieu de freiner ou de cantonner la crise l’ont au contraire accélérée.Les nouvelles normes comptables (les fair value » ou « market to market » font que si je me débarrasse d’un actif toxique à vil prix, tous les acteurs économiques qui détiennent un actif similaire doivent inscrire ce prix cassé dans leurs comptes. Il s’en suit une dévalorisation en chaîne. Si nous avions encore les normes comptable de 2005, la propagation de la crise eut été évitée ! Ajoutez à cela les normes bancaires qui obligent une banque en cas de perte à augmenter son capital, à vendre des actifs ou à provisionner. Mais si une banque inscrit 100 de provisions, elle doit couper 1200 dans ses crédits, avec toutes les conséquences que l’on imagine sur les acteurs économiques qui ont besoin de ces crédits. il s’agit d’une crise d’un autre type que celle de 1929 ?C’est un engrenage similaire à la crise de 1929 bien analysée par l’économiste américain Irving Fisher dans sa « théorie de la déflation par la dette ». Un acteur économique endetté est poussé à la faillite, celle-ci entraîne la perte d’une créance par sa banque qui elle-même est obligée de réduire ses crédits à une autre entreprise, laquelle est mise en faillite… Ainsi de proche en proche, se propage la déflation et la crise.Cette similitude m’avait d’ailleurs très tôt poussé à décrire la crise actuelle comme porteuse d’un risque de « déflation par la norme ». Mais s’il était bien sur nécessaire de remettre des liquidités pour palier au risque de thrombose créé par la crise financière il eut été nécessaire de suspendre très tôt les normes comptables toxiques comme vient seulement de le décider le G4 réuni à Paris._ Et l’absence de régulation dénoncée par certains ? Qu’on ne vienne pas dire que la crise serait due à l’absence de régulation, que les acteurs auraient été libres de faire n’importe quoi ! C’est totalement faux ! La circulation financière, comme la circulation routière a des règles. Vous ne pouvez pas rouler n’importe où, il y a des limitations de vitesse, des contrôles techniques…Là, nous sommes entrés dans le brouillard, sans feu de signalisation et surtout sans bande d’arrêt d’urgence. D’où le grand carambolage. Ce n’est pas le résultat d’une absence de régulation, mais d’une mauvaise régulation, des subprimes aux normes comptables. Sans compter les agences de notation, dont on dit qu’elles n’ont pas fait leur travail, mais qui fonctionnent en oligopoles protégées par l’Etat. Et les exceptions règlementaires qui ont été accordées aux banques d’affaires pour leur permettre de prendre plus de risques et jouer aux « hedge funds »... _ Justement, on a beaucoup accusé la spéculation des « hedge funds »…Les « hedge funds », constituent c’est vrai le secteur le moins régulé et nombreux étaient ceux qui annonçaient qu’ils allaient provoquer une crise. En fait les hedge funds, s’ils vont subir une crise qu’ils n’ont en rien créé, se seront révélés comme des acteurs responsables. Ce qui doit nous conduire à observer que les normes lorsqu’elles sont imparfaites – et elle ne peuvent jamais l’être – conduisent parfois les acteurs qui les respectent à oublier l’analyse des vrais risques. La crise que nous avons est celle de la régulation publique et même de l’interventionnisme public en ce qui concerne l’origine des subprimes._ N’y a-t-il pas eu aussi une erreur de Greenspan ?Alan Greenspan, comme son successeur Ben Bernanke, a été marqué par le souci de tuer dans l’œuf tous les risques déflation dépression en déversant, à la moindre alerte, des trombes de liquidité par un écroulement des taux courts de la Fed au risque de créer des bulles financières.C’est d’ailleurs pourquoi les plus libéraux sont aussi les plus critiques du fonctionnement des banques centrales et de cet interventionnisme aléatoire et discrétionnaire qui fausse les prix et le calcul des risques. _ On a compris ce qui avait conduit au « carambolage ». Fallait-il ensuite que les Etats interviennent comme ils l’ont fait ? L’Etat est par nature producteur de sécurité in fine. De sécurité personnelle, d’indépendance nationale, de sécurité sanitaire en cas d’épidémie. C’est pour cela qu’il dispose du monopole de la contrainte. Depuis le début de la crise, j’ai souhaité une intervention énergique et rapide de l’Etat (en l’occurrence américain). Je n’ai cessé de dire tout au long de l’année écoulée : mais que font les Etats-Unis ? Leur intervention a été tardive et désordonnée : un jour, on dit aux actionnaires de renflouer Fannie Mae et Freddie Mac ; le lendemain, contre toute logique économique, on les ruine en nationalisant ; ensuite, on sacrifie Lehman Brothers pour faire un exemple ; puis face aux conséquences catastrophiques de cet exemple, on décide de sauver tout le monde… Bref, cela donne aux marchés financiers, qui ont besoin de confiance, le sentiment d’une crise mal maîtrisée. _ N’est-ce pas parce que l’opinion publique américaine s’est dressée contre Wall Street ?Indiscutablement. Le spectacle de l’argent facile a creusé un fossé entre Wall Street et Main Street. Et l’intervention des Etats se doit bien entendu aujourd’hui que la facture dela faillite des banques soit d’abord payée par les banquiers et les actionnaires._ Faut-il donc redouter un retour en force de l’Etat dans la gestion de l’économie ? Les politiques n’avaient pas digéré que l’Etat ait été rogné dans ses prérogatives, que les choix individuels l’emportent sur les choix collectifs, que le marché économique l’emporte sur le marché politique. Cette crise est pour eux l’occasion d’une revanche sur le « grand méchant marché ». Celle-ci sera certainement très provisoire. Mais si, l’intervention de l’Etat est nécessaire, quand il y a un incendie dans la maison, on est bien content qu’il y ait des pompiers. Si de nouvelles régulations sont nécessaires, encore faut-il savoir créer un cadre responsabilisant et non étouffant pour les acteurs de la finance. _ Comment rétablit-on la confiance ? Les propositions de la Commission européenne reprises par le G4 de l’Elysée sont de bonne facture. Mais elles arrivent bien tard, et comme dans le plan américain « le diable est dans les détails ». Au surplus, je m’interroge sur les risques de collision entre les traitements américain et européen.Cela dit, dans les crises, sauf à entrer dans une spirale déflationniste à la japonaise -elle a duré dix ans- il y a un moment où la détérioration s’arrête et qui catalyse les forces qui peuvent assurer la remontée._ Quels peuvent être les facteurs de retour à la confiance ?Les lendemains de l’élection présidentielle aux Etats-Unis peuvent être l’occasion de ce rebond. _ Mais le scénario à la japonaise ?Une crise mal soignée en Europe pourrait aboutir à cela. Une mauvaise politique monétaire peut nous faire entrer dans une longue dépression déflationniste. La politique des taux de la BCE que pour ma part je n’ai pas critiqué jusqu’à présent ne me paraît pas à la mesure de la crise actuelle. Elle correspond à des prévisions de croissance et d’inflation de début d’année qui n’ont plus aucun sens aujourd’hui. Baisser énergiquement les taux cours, c’est permettre aux banques de se recapitaliser. _ La crise n’est-elle pas aussi due à l’épuisement d’un cycle d’innovations technologiques ? Non. La révolution financière, qui améliore l’efficacité du capital, se poursuivra. La croissance « schumpetérienne » de l’innovation créatrice va exploser : les nanotechnologies, les nouvelles énergies, la révolution génétique, tout cela est devant nous. Nous avons devant nous des décennies de croissance innovatrice fantastique. De même la croissance « ricardienne ». De l’avantage comparatif et de l’optimisation des talents à l’échelle de la planète. Ces deux moteurs qui font la force du capitalisme restent ainsi durablement allumés. Peuvent-ils tomber en panne faute de carburant ? Durablement, non. Le capital reste abondant et l’intelligence financière très active.
Propos recueillis par François d’Orcival et David Victoroff.

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