DEMOCRATIE

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samedi 18 octobre 2008

Comprendre les plans de sauvetage

1) Les plans présentés cette semaine constituent-ils une première ?
Beaucoup de crises bancaires que le système capitaliste a déjà traversées ont coûté très cher. Au Japon, à la suite de la crise des banques liée à l'éclatement de la bulle immobilière, au début des années 1990, le gouvernement a lancé douze plans de relance pour un total de 1 027 milliards d'euros, ce qui a conduit à un taux d'endettement public de 178 % du produit intérieur brut (PIB). Dans les années 2000, la Chine a discrètement procédé à des recapitalisations bancaires massives très onéreuses.
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Les montants en jeu aujourd'hui sont, eux aussi, très élevés. Mais ils sont faibles, comparés à la valeur totale des bilans bancaires qui représentent, en France, l'équivalent de 3,5 fois le PIB ! La nouveauté tient plutôt à la généralisation et à la coordination des plans.
2) Comment est-on passé d'un plan européen de 300 milliards d'euros à des plans à 1 700 milliards ?
Le premier plan proposé à la hâte par le gouvernement français aux autres pays européens se voulait la réplique du plan Paulson américain, sans qu'on sache très bien ce qu'il allait contenir : le rachat des actifs douteux des établissements financiers ? Des mesures destinées à la recapitalisation des banques ? Des garanties sur les prêts interbancaires ?
Le second plan européen est d'une toute autre ampleur car il a été discuté et structuré à partir de trois types d'interventions possibles. Première possibilité (à l'américaine) : récupérer les actifs douteux d'une banque, lui donner du cash à la place, puis revendre - ou plutôt tenter de revendre - ces actifs toxiques.
Deuxième option (à l'européenne) : prendre des participations dans une banque en lui versant du cash. Cette entrée d'un Etat dans le capital d'un établissement se veut, en principe, temporaire. Il faut espérer que la plupart des banques vont se redresser et donc se revaloriser, ce qui permettra à l'Etat actionnaire de revendre sa participation en faisant une plus-value.
Troisième voie (à la britannique) : garantir les prêts entre les banques afin d'assurer au prêteur qu'il récupérera, quoi qu'il arrive, son argent. C'est le principe de la caution. Ce dispositif ne coûte rien tant qu'un emprunteur ne fait pas défaut.
Le plan de sauvetage français repose, lui, sur deux piliers. Une enveloppe de 40 milliards d'euros est destinée à d'éventuelles recapitalisations. Par ailleurs, une société de droit privé est créée, la Société de refinancement. Elle est présidée par Michel Camdessus, ex-directeur général du Fonds monétaire international (FMI). L'Etat en sera actionnaire à hauteur de 34 %, ce qui lui donne une minorité de blocage. Les 66 % restants sont détenus par les banques. En échange d'actifs "de bonne qualité" (point sur lequel la ministre de l'économie Christine Lagarde a insisté) qui serviront de gage en cas de défaillance, elle refinancera les établissements de crédit en leur prêtant du cash. L'Etat se portant garant à hauteur de 320 milliards d'euros. Cette approche vise à permettre aux banques de prêter de nouveau aux entreprises et aux particuliers. Elle n'a pas pour objectif direct de faire refonctionner le marché interbancaire. C'est donc un mécanisme différent de celui promu par les Britanniques.
3) Comment chaque pays a-t-il fixé le montant du plan de sauvetage ?
Les ratios, les résultats, etc., sont connus, mais il n'est pas pensable qu'un Etat ait une parfaite connaissance des bilans des banques. Concernant les montants des plans de sauvetage retenus, des discussions ont eu lieu au sein des gouvernements de la zone euro et les chiffres sont à peu près proportionnés au PIB respectif de chaque Etat. Les ordres de grandeur sont comparables.
4) Les banques françaises en ont-elles besoin ?
Les banques françaises sont des établissements dits universels : elles ont des activités diversifiées. Elles investissent mais sont aussi des banques de dépôt. Même si certaines souhaiteraient faire appel au plan de sauvetage, elles n'osent sans doute pas sauter le pas pour éviter de se "signaler" au public et de rentrer dans une possible spirale de défiance. Qui plus est, il n'est pas certain que beaucoup de banquiers aient envie, en cas de recapitalisation, de voir l'Etat décider (un peu) à leur place.
Si les banques françaises persistent dans cette attitude, il leur faudra trouver des investisseurs pour conforter leurs fonds propres. Elles pourraient se tourner vers la Russie, la Chine, les pays du Golfe, etc.
5) Les montants dégagés sont-ils suffisants ?
Il est difficile d'en juger à la date d'aujourd'hui. Grâce aux mesures prises, les banques vont pouvoir obtenir des liquidités et donc alimenter la machine économique en distribuant des crédits aux entreprises et aux particuliers. De même, elles amélioreront leur solvabilité si elles acceptent d'être recapitalisées. Mais sur ce dernier point, une remarque : l'enveloppe de 40 milliards d'euros sera-t-elle suffisante ? Paris a déclaré qu'il ne laisserait tomber aucun établissement bancaire. Implicitement, cela signifie que le gouvernement est prêt à porter secours à l'ensemble des établissements français... donc à dépenser 3,5 fois le PIB. C'est inimaginable...
Toutes ces mesures sont des rustines. Elles se substituent au marché interbancaire mais ne le relancent pas. Ce dernier a beaucoup de mal à repartir : les établissements ne se font pas assez confiance entre eux pour se prêter. Si les Bourses ne montrent pas une tendance à la hausse, les gouvernements risquent d'être obligés de prendre d'autres dispositions.
6) D'où vient l'argent ? C'est l'un des aspects les plus simples. Le monde entier court après des bons du Trésor ou des obligations d'Etat, encore perçus comme un refuge. La crise financière n'a pas fait disparaître l'épargne. L'appétit pour de la dette publique est fort chez les Chinois, les Russes, mais aussi en Europe, dans les fonds de pension, par exemple. Les fonds souverains à eux seuls ont un portefeuille de l'ordre de presque 3 000 milliards de dollars.
7) Est-ce de la création de monnaie ?
Au niveau mondial, il ne s'agit pas de création de monnaie, plutôt d'un transfert. Un Etat émet des obligations ou des bons du Trésor qui sont souscrits par tel ou tel prêteur, qui lui verse du cash en échange. Ces liquidités sont ensuite distribuées dans l'économie. Si le prêteur est de la zone euro, les liquidités passent d'une main à l'autre sur le territoire de la zone. S'il est extérieur à la zone, les liquidités en devises doivent être converties en euros, mais cela ne crée pas forcément de la monnaie. Quoi qu'il en soit, il est clair que l'Etat augmente son taux d'endettement brut.
8) Est-ce inflationniste ?
Pour beaucoup d'Etats, l'inflation serait une solution à la progression importante de leur taux d'endettement. L'inflation est, en effet, une manière de transférer du revenu, du créancier au débiteur. Les revenus de celui-ci augmentent (en valeur nominale) alors que le montant de sa dette se déprécie. C'est plus facile que d'augmenter les impôts !
Mais ce n'est pas si simple de "faire" de l'inflation, surtout depuis l'indépendance des banques centrales qui, comme la Banque centrale européenne (BCE), veillent farouchement sur la hausse des prix. Aux Etats-Unis, la Réserve fédérale n'a pas pour seul objectif, contrairement à la BCE, la lutte contre la hausse des prix. C'est pourquoi un certain nombre d'observateurs pensent que le gouvernement américain pourrait pencher en faveur d'une inflation plus élevée pour régler la question de l'endettement.
Cette technique n'a rien de nouveau. Après la seconde guerre mondiale, la Grande-Bretagne affichait un taux d'endettement de 300 % de son produit intérieur brut. Taux qui a diminué au cours des années grâce à une inflation élevée. Il est vrai qu'à cette époque, les banques centrales n'étaient pas indépendantes.
9) Qu'est-ce que l'injection de liquidités ?
Prenons l'exemple de la BCE. Une banque lui demande des liquidités. Elle va prendre en pension des titres détenus par l'établissement, et les mettre de manière temporaire à son bilan. Parallèlement, elle va créditer le compte BCE de la banque - toutes les banques de la zone euro ont un compte à la BCE - et lui transmettre ainsi du cash.
Pendant le temps que dure l'opération, l'établissement bancaire voit juste l'actif de son bilan modifié : moins de titres mais plus de cash.
Quand la banque rembourse la BCE, elle réintègre les titres qu'elle avait mis en pension, l'actif de son bilan retrouvant sa structure initiale.
C'est un mécanisme classique. L'Eurosystème, cette structure qui regroupe la BCE et les banques centrales de la zone euro, passe son temps à créer de la monnaie et à en détruire.
10) Le coût figure-t-il dans le budget de l'Etat ?
Ces sommes correspondent à de la dette publique. L'Etat s'endette pour pouvoir fournir des liquidités aux acteurs économiques. Si l'on prend l'exemple de la France, l'ensemble du plan de relance est évalué à environ 400 milliards d'euros en incluant d'autres mesures de soutien (aides aux PME et aux promoteurs immobiliers), soit 20 points de PIB (1 point de PIB = 20 milliards d'euros environ).
Actuellement le taux des emprunts d'Etat à cinq ans est, pour la France, de 3,3 %. Si ces 400 milliards d'euros étaient mobilisés, le coût de la dette (les intérêts versés) serait donc de 13 milliards par an. Somme qu'il faut ajouter aux intérêts déjà versés pour la dette publique française actuelle (1 200 milliards), qui représentent 40 milliards d'euros.
Ces calculs traduisent l'hypothèse haute, c'est-à-dire si l'ensemble du plan de relance est mobilisé. Et c'est un montant brut, car l'Etat pourra très bien se désendetter s'il revend ses prises de participation, en faisant une bonne affaire.
On le sait peu mais seuls les intérêts de la dette sont inscrits dans le déficit public. Le déficit public français pourrait donc être aggravé de 13 milliards. Mais c'est sans tenir compte des commissions que l'Etat compte prélever sur les banques, en rémunération de la liquidité qu'il offrira, somme qu'il est évidemment difficile de chiffrer aujourd'hui. Par ailleurs, il faut mettre ce montant en face des objectifs du gouvernement.
Si le plan de sauvetage permet de sauver un point de croissance, soit 20 milliards, produisant 9 milliards d'euros de recettes supplémentaires puisque la pression fiscale est de 44 %, alors l'opération ne devient plus déficitaire que de 13 - 9 = 4 milliards d'euros. C'est le pari.
Rappelons que le déficit budgétaire est fixé dans le projet de budget 2009 à 52,1 milliards et que la dette publique remontera à 66 % du PIB en 2009.
11) Cela annonce-t-il un plan de rigueur ?
Politiquement, une telle annonce serait difficilement tenable. Qui plus est, est-ce la bonne solution ? Nous n'avons sans doute encore rien vu de la crise réelle. Ne faudrait-il pas plutôt un plan de relance ? Que va-t-il se passer ainsi pour les ménages français qui se sont fortement endettés (crédit-relais, etc.) pour l'achat de leur résidence principale ? Le rapport de Michel Pébereau réalisé en 2005 pour le gouvernement d'alors a alerté, à juste titre, sur l'ampleur de la dette publique française. Mais les circonstances actuelles qui sont tout à fait exceptionnelles peuvent conduire à l'augmentation du taux d'endettement de l'Etat sans que le pays ne courre un véritable danger, surtout si l'augmentation de la dette a pour contrepartie une hausse des actifs détenus par l'Etat. Il n'y a aujourd'hui aucune anticipation de défaut de l'Etat. L'Italie vit depuis des années avec un taux d'endettement équivalent à 120 % de son PIB. S'il y a de l'épargne en face, le risque est faible.
12) Pourquoi créer deux établissements ?
Ces deux établissements ont été créés afin de montrer que ce dispositif est bien temporaire. La Banque de France est de plain-pied dans l'Eurosystème et le Trésor gère déjà, à travers ses agences, les emprunts et les participations de l'Etat. Mais il fallait marquer la volonté gouvernementale d'agir en temps de crise sans pérenniser le dispositif choisi.
Des embauches ? Il faudra certainement recruter. Sans doute pas des fonctionnaires. Toutes ces questions de garantie de liquidités, etc. sont très techniques, et beaucoup d'experts estiment que la formation classique, Sciences Po puis l'ENA, y prépare mal. Beaucoup de personnes s'interrogent d'ailleurs pour savoir si le retard pris dans la régulation des marchés n'est pas lié aux différences de compétences - et de salaires - entre les fonctionnaires et les jeunes talents des salles de marché. Les premiers ayant souvent un train de retard vis-à-vis des seconds.
Mais regardons aussi ce qui se passe aux Etats-Unis, où les agents du Trésor sont très bien payés et, souvent, issus des grandes banques d'investissement. Ils connaissent bien les techniques bancaires... parfois même trop bien !
13) Qui, in fine, va payer ?
Nous assistons d'abord à un partage international des pertes entre les pays créanciers et les pays débiteurs. La Chine et le Japon, créanciers des Etats-Unis, ont investi dans de nombreux établissements américains dont la valorisation a baissé. Ils sont donc déjà perdants. Tout comme certains pays européens qui étaient détenteurs d'actifs américains.
Il y a aussi un partage national des pertes entre les contribuables, les actionnaires et les ménages. Aux Etats-Unis, ce partage est plus favorable aux actionnaires. Le rachat des actifs "pourris", prévu dans le plan Paulson, revalorise les banques, donc leurs actionnaires. En revanche quand il y a nationalisation partielle d'un établissement, l'arrivée d'un nouvel actionnaire, en l'occurrence l'Etat, dilue le capital et donc spolie les actionnaires déjà en place.
Quoi qu'il en soit, l'endettement supplémentaire de l'Etat peut, en cas de rigueur budgétaire affichée et obligatoire (le respect du pacte de stabilité, par exemple, qui fixe à 3 % du PIB le déficit budgétaire), et si les opérations en capital en cours se révèlent perdantes, se traduire soit par une hausse des impôts, soit par une baisse des dépenses de l'Etat (éducation, santé, politique de l'emploi, etc.), ce qui aura un impact sur la qualité de vie des contribuables et des ménages en général. Et si un Etat laisse grimper l'inflation pour dévaloriser son endettement, ce sont les ménages qui en feront les frais puisque leur pouvoir d'achat baissera.
14) Ces mesures suffiront-elles ?
Ce n'est pas évident. Le marché interbancaire reste frileux. Il faudra peut-être un plan européen, voire international, de garantie interbancaire.
D'autres mesures sont nécessaires. La question des normes comptables est importante. Depuis quelques années, c'est le mark to market qui a fait loi, c'est-à-dire la valeur de marché trimestre par trimestre. C'est un cercle vicieux car à mesure qu'une banque voit ses actifs se dégrader, elle est obligée de les vendre ce qui fait encore plus baisser la Bourse... Il serait plus raisonnable d'évaluer les actifs selon d'autres méthodes. Pourquoi pas une moyenne historique ? Les gouvernements se sont penchés sur cette question lors du Conseil européen de Bruxelles.
Enfin, que dire des plans de recapitalisation ? Certes, les montants avancés sont importants (40 milliards d'euros pour la France) mais la valeur globale des banques est équivalente à 3,5 fois le PIB ! Que se passera-t-il s'il est nécessaire un jour de sauver l'ensemble des banques françaises ?
Pourquoi ne pas se poser, sans aucun a priori, les questions qui ont occupé les pays en développement dans les années 1980, c'est-à-dire, une restructuration de la dette des banques ou bien envisager une conversion forcée des dettes en actions ?
Toutes ces mesures seraient évidemment très compliquées à mettre en place : il existe 8 000 banques environ en Europe, dont 44 de grande taille : les dettes des unes sont bien souvent les actifs des autres. Mais, en dernière extrémité, il n'y aura peut-être pas d'autre choix.
Propos recueillis par Marie-Béatrice Baudet et Adrien de Tricornot
Article paru dans l'édition du 19.10.08

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