DEMOCRATIE

DEMOCRATIE

lundi 8 février 2010

La cigale et la fourmi .

Lui qui n'avait pas hésité à dire que la France était « en situation de faillite financière » a préféré parler la semaine dernière de « gestion serrée » pour qualifier la politique que devait désormais conduire le gouvernement. Depuis qu'il rassure l'opinion, le Premier ministre, François Fillon, a changé de registre. Il parle comme un président qui ne veut pas inquiéter son pays. Ministres et responsables politiques de la majorité ont compris le message. Christine Lagarde en tête, ils ont lancé un concours de litotes pour éviter le mot qui fâche et fait perdre les élections, celui de rigueur.

À moins de lui substituer austérité, qui effraie certes encore plus, le mot cher à Raymond Barre désigne assez bien l'atmosphère budgétaire qui guide les responsables des finances publiques. Face à un déficit public qui dépasse les 8 %, l'espoir d'une reprise de la croissance dans des proportions significatives n'est plus qu'une illusion que plus personne n'ose même entretenir. En 2008, déjà, le gouvernement avait tablé sur une croissance de 2, 25 % avant qu'elle ne s'effondre. Il ne reste donc plus qu'à resserrer les cordons de la bourse. Le mouvement est bien enclenché : la Révision générale des politiques publiques est en oeuvre. L'État et les fonctionnaires vont rembourser l'ardoise laissée par la crise spéculative, dans des proportions qui affectent d'ores et déjà des secteurs clés tels que la santé, la justice ou l'éducation. Nicolas Sarkozy voulait affranchir les Français des contraintes et de l'impôt afin de libérer l'activité et d'augmenter les richesses. C'est son Premier ministre, plus ménagé dans les sondages de popularité, qui va monter en première ligne mais dans un registre plus sombre qui sied mieux à son personnage.

Nicolas Sarkozy a été élu pour accroître le pouvoir d'achat, François Fillon a trouvé une autre façon de servir la France : tenter de la redresser après avoir cessé de lui dessiner des lendemains glorieux. Dans cet emploi, le Premier ministre peut s'user au bénéfice de son président. Il peut aussi devenir une fourmi appréciée à l'ombre d'une cigale durablement impopulaire. Une large victoire de la gauche aux régionales poussera quoi qu'il en soit à une redistribution des rôles entre le président de la République et son Premier ministre. Et comme il est de coutume sous la Ve République, elle ne se fera pas sans tension.

Les politiques et l'argent : le malaise est toujours là .


PATRIMOINE. La classe politique n'aime pas parler de ses revenus. Deux journalistes ont enquêté.

Fêtée au Fouquet's en compagnie de plusieurs figures du CAC 40, la victoire avait été suivie d'une échappée belle sur le yacht du milliardaire Vincent Bolloré. Partisan d'une relation décomplexée avec l'argent, Nicolas Sarkozy avait affiché dès le soir de son élection sa volonté de jeter aux orties les vieilles pudeurs de la classe politique. Une rupture plutôt mal vécue par l'opinion. Sur fond de frasques sentimentales, ce goût revendiqué pour le luxe et l'apparat fut à l'origine de sa première dégringolade dans les sondages.

Savoir « faire pauvre »

Depuis des décennies, le secret d'une longue carrière repose sur le respect impératif de cette antienne : faire pauvre. « Jacques Chirac a passé son règne à dissimuler son patrimoine et sa culture, François Mitterrand à masquer son image de grand bourgeois et à cacher sa deuxième famille, qui vivait aux frais de la République », écrivent Christophe Dubois et Marie-Christine Tabet dans « L'Argent des politiques » (éditions Albin Michel).

À l'époque, rien ne filtrait sur les séjours de l'enfant de Jarnac dans les palais vénitiens et les palaces égyptiens. Dans une France pétrie de valeurs paysannes et façonnée par la religion catholique, la modestie et l'humilité sont des étendards fort prisés par les électeurs. Les seuls, sans doute, à même d'atténuer le discrédit que les affaires, du scandale Stavisky aux diamants de Giscard, jettent en permanence sur la classe politique.

Christian Poncelet, l'ancien président UMP du Sénat, se plaît ainsi à raconter son enfance aux côtés de sa mère femme de ménage. Mais il est beaucoup moins disert sur ses appartements, sa maison et sa propriété de Sainte-Maxime.

Dès qu'il s'agit de s'attarder sur les biens qu'ils ont au soleil, les élus se livrent à de curieuses acrobaties. En 2006, François Hollande avoue ainsi publiquement qu'il n'aime pas les riches. Mais il ne dit rien de l'impôt sur la fortune qu'il paie. Motus et bouche cousue, aussi, sur la villa qu'il possède avec Ségolène Royal à Mougins, sur la Côte d'Azur, dont la valeur est fortement minorée dans les déclarations patrimoniales du couple.

Il est encore plus difficile de confesser les élus amateurs d'espèces. Jacques Chirac et Charles Pasqua aimaient à se promener avec des liasses. Les proches de Roland Dumas savent qu'il se déplace parfois avec des billets soigneusement rangés dans une enveloppe. Ils ne sont pas les seuls.

En 2002, après un dîner organisé à l'hôtel Matignon par Jean-Pierre Raffarin, Jean-Louis Borloo part en oubliant sa veste. Dans une poche, il y a 4 500 euros en liquide. Plusieurs fonctionnaires en sont témoins. Mais, interrogé par Christophe Dubois et Marie-Christine Tabet, l'ancien avocat de Bernard Tapie s'indigne : « C'est grotesque ! Je ne me balade jamais avec autant d'argent sur moi. »

Mal payés ?

Ministres, parlementaires ou présidents d'exécutifs locaux ne sont pas des nababs. L'énergie et le talent dont font montre certains d'entre eux pour conquérir et garder le pouvoir auraient sans doute été beaucoup mieux rémunérés dans le privé. « S'ils ne sont pas milliardaires, ils affichent des patrimoines qui les classent dans l'esprit de beaucoup de Français dans les rangs des privilégiés », constatent Christophe Dubois et Marie-Christine Tabet. 500 000 euros de fortune en moyenne pour chaque parlementaire, assortis d'une forte capacité d'épargne. La classe politique s'est vraisemblablement enrichie au cours de ces trente dernières années. Même si la rémunération maximale ne peut dépasser 8 200 euros, le cumul des mandats qui touche près de 80 % des 920 députés et sénateurs n'y est certainement pas étranger. Divers avantages pécuniaires non plus.

Chaque parlementaire reçoit chaque mois une enveloppe non imposable de 6 000 euros pour ses frais de représentation. Contrairement à ce qui se passe en Angleterre, il peut les dépenser comme bon lui semble sans être obligé de produire des justificatifs. Les élus de la nation s'estiment pourtant mal payés. « Mais personne n'ose le dire », déplore l'UMP Thierry Mariani, député du Vaucluse. « Celui qui s'y risque se flingue politiquement. » Las du discours « tous pourris », Claude Goasguen, son collègue parisien, avait déposé une proposition de loi visant à rendre public le patrimoine des élus.

Gauche et droite se sont entendues pour la torpiller. La fortune des élus reste encore une terra incognita que seule la commission pour la transparence de la vie politique pourrait déflorer. Composée de hauts magistrats, cette discrète institution qui siège dans les locaux du Conseil d'État étudie à huis clos les déclarations de revenus et de patrimoine des élus, du ministre au conseiller général. Aucun nom n'apparaît dans ses rapports. Et elle n'impressionne pas grand monde. Ce n'est qu'en 2006, seize ans après l'achat de sa villa à Vallauris, qu'elle a convoqué le socialiste Julien Dray pour qu'il s'explique sur le financement de cette maison acquise grâce à un prêt non remboursé. « Droite bling-bling et gauche caviar se noient dans les mêmes bulles de champagne », ironisent Christophe Dubois et Marie-Christine Tabet en détaillant les similitudes rapprochant Rachida Dati et Monique Lang, l'épouse de l'ancien ministre de la Culture.

L'argent facile

Intervenues entre 1990 et 1990, les lois ouvrant la voie au financement public de la vie politique ont certes assaini la situation. La disparition des fonds secrets au plus haut niveau de l'État, qui avaient nourri des soupçons jamais étayés à l'endroit de Raymond Barre et de Jacques Lang, aussi. La tentation de l'argent facile n'a pas pour autant déserté les allées du pouvoir.

Comment expliquer autrement l'acharnement des gouvernements de gauche et droite à protéger le secret défense dans l'affaire des commissions liées aux contrats militaires de Taïwan et du Pakistan ? La création d'une commission de contrôle dotée de pouvoirs contraignants ne serait sans doute pas un luxe. La corruption des élites politiques reste un phénomène semble-t-il limité.

Beaucoup plus répandue est en revanche l'envie de profiter plus que de raison de l'argent public. Lors de la dernière présidentielle, Nicolas Sarkozy a ainsi fait prendre en charge par le contribuable les 12 000 euros mensuels de salaire de plusieurs proches. Plus surprenant, José Bové a essayé de faire rembourser l'achat de 3 000 exemplaires de son dernier livre ainsi que les 13 000 euros du pot offert au soir du premier tour.

dimanche 17 janvier 2010

NON AU CUMUL DES MANDATS !!!!!

L'absentéisme parlementaire choque les Français et le cumul actuel des mandats le favorise.

Il y a aussi et surtout une question de principe : ce cumul peut entraîner une confusion d'intérêt.

L’élu n’est pas un employé et son mandat n’est pas un job !

Les français sont aujourd’hui une très large majorité à déconsidérer l’homme politique, estimant que ses multiples candidatures n’ont plus rien à voir avec un engagement profond et sincère.

De même, il n'est pas sain pour la vie démocratique qu'une même personne puisse rester à la tête d'une collectivité en cumulant plusieurs mandats pendant 20 ou 30 ans, la CharenteMaritime en est un pur exemple. ( mais jusqu'où iront ils )?

Il faut au contraire permettre à des femmes et à des hommes nouveaux de partager les responsabilités locales et nationales.

Nos institutions doivent être profondément modernisées pour permettre un renouvellement régulier de la classe politique.

Comment mettre un terme à cette situation ?

Seule une réforme imposant le mandat unique, permettra de conjuguer la régénération de la classe politique et l'obligation pour l'élu de se consacrer entièrement à l'exercice du mandat qui lui a été confié.

Le non cumul des mandats pourrait permettre à plus de politiques débutants, issus de la société civile, de concrétiser leur engagement à des postes décisionnels.

Il donnerait l’opportunité à de nouveaux visages de se faire connaître, d’acquérir de l’expérience et de faire leurs preuves auprès de leurs électeurs.

C’est pourquoi une telle règle développerait la diversité du paysage politique et donc la démocratie.
Mais, le non cumul, représente aussi bien plus : dans ma vision de la démocratie, cela indique une volonté de « déprofessionnalisation » des mandats électifs, lorsque le mandat le permet.

Ce qui ne veut pas forcément dire avoir des élus moins compétents, mais des élus moins dépendants de leurs carrières politiques (et des indemnités associées), des élus qui pourront ainsi plus librement appliquer leurs convictions et leur valeurs pendant toute la durée de leur mandat sans craindre un mauvais impact sur une future élection.

Enfin, défendre le non cumul de mandat signifie aussi pour moi, permettre plus de transparence dans notre système démocratique.
Nous élisons ainsi des candidats pour une fonction claire et précise sans chercher à savoir quel mandat sera privilégié dans son action par des élus cumulards.

Alors, pour plus de démocratie, non au cumul des mandats !

Richard Canac.

Un prophète désarmé.


Comme les vrais gaullistes, il était à la fois d’hier et d’après demain.

Il disparaît alors que la crise rend à ses analyses une formidable acuité.

Depuis onze ans, on ne parlait déjà plus de son destin qu’au passé. Il lui restait une carrière : premier président, depuis 2004, d’une Cour des comptes rénovée et, grâce à lui, vraiment indépendante.

Certes, Philippe Séguin portait une part de responsabilité dans cet exil intérieur commencé en 1999 quand, deux mois à peine avant les élections européennes, il avait claqué la porte de la présidence du RPR, en même temps que démissionné de la tête de liste qu’il était censé mener avec Alain Madelin. Ses colères, proportionnelles à ses éclats de rire et à ses renoncements (en voulait- il aux autres de le pousser à bout ou à lui-même de faire ce qu’ils attendaient de lui ?), étaient alors devenues sa marque de fabrique : celle d’un électron libre aussi prompt à se révolter qu’à rentrer dans le rang,pour aussitôt prévenir que personne, jamais, n’aurait barre sur lui.

En taisant cet aspect erratique de sa personnalité – oubli somme toute normal après une disparition –, ceux qui tressent aujourd’hui des lauriers à Philippe Séguin doivent-ils pour autant faire l’impasse sur leurs propres responsabilités dans sa marginalisation politique ?

À droite, où tout le monde semble aujourd’hui l’aimer, il n’y a guère que le président de la République et le premier ministre à ne pas encourir l’éternel soupçon de l’hommage rendu par le vice à la vertu.

Nicolas Sarkozy, qui n’a jamais été proche de lui par les idées, l’a, en effet, toujours respecté. Lui a voté oui à Maastricht en 1992, défendu logiquement la mondialisation libérale puis soutenu Édouard Balladur, quand Séguin, à l’inverse, prenait la tête du non, s’enflammait, l’année suivante, contre le «Munich social » incarné à ses yeux par les accords du Gatt – l’actuelle OMC – et choisissait Chirac à l’élection présidentielle de 1995. Fasciné, peut-être, par ce “double inversé”, Sarkozy n’en a pas moins soutenu l’action de Séguin à la tête de la Cour des comptes, y compris quand ses investigations ont débouché sur la polémique, exploitée à fond par la gauche, sur les sondages de l’Élysée.Mieux, avec la crise mondiale, le président n’a pas hésité à “faire du Séguin” en réclamant une régulation accrue des échanges mondiaux, au nom de la nécessaire cohésion sociale sans laquelle la République serait un vain mot.

Conversion sincère ou application de l’éternelle méthode des deux fers au feu ? À peine entré à l’Élysée, Nicolas Sarkozy n’a pas négligé, en tout cas, de faire d’Henri Guaino, qui fut le plus proche collaborateur de Séguin pendant la bataille de Maastricht, le premier de ses conseillers.

Quant à François Fillon, au bord des larmes à l’annonce de la mort de celui qui fut son mentor, ceux qui le connaissent savent que son émotion n’était pas feinte. Tout comme celle de Roger Karoutchi qui, avec Fillon, anima longtemps la tendance séguiniste du RPR, hostile à l’“embourgeoisement” du mouvement incarné alors par Alain Juppé et Édouard Balladur…

Nul doute qu’en décrivant la « passion dévorante, tenace, ombrageuse » de « l’un des plus grands serviteurs de la France », François Fillon pensait au chef de l’État que Philippe Séguin aurait pu devenir. Aurait dû devenir, disent ceux qui l’ont aimé. Il y avait aussi dans sa voix la gratitude de lui devoir, un peu – et sans doute beaucoup –, sa nomination à Matignon. C’est-à-dire à une place où la tradition représentée par Séguin avait un rôle à jouer dans la stratégie de Nicolas Sarkozy.

Pourquoi, de fait, ce rendez- vous manqué avec l’Histoire, dont il était un passionné ? Pour le comprendre, il faut relire les Mémoires qu’il a publiés à 60 ans tout juste – indice non négligeable en un temps où telle est, désormais, la force de l’âge pour un homme politique (Itinéraire dans la France d’en bas, d’en haut et d’ailleurs, Seuil, 2003).

On y ressent, décrite avec une sensibilité parfois déchirante, sa nostalgie d’un temps où les hommes politiques étaient plus prodigues d’idées que de postures. Son dégoût pour les combinaisons politiciennes et son dépit d’avoir dû parfois s’y prêter.Sa tristesse, aussi,de n’avoir pu solder aucun de ses grands combats personnels autrement que par un échec ou une démission.Sa colère, surtout, de n’être jamais crédité de ce qu’il fit pour les autres, à commencer par Jacques Chirac dont il estime, non sans raison, qu’il n’aurait pas été élu sans son concours, en mai 1995… Et qui, suprême humiliation, a tout fait pour l’éliminer de la liste de ses successeurs !

Être orphelin d’un père politique (qui lui survit) après l’avoir été d’un autre qu’il n’a jamais connu (le vrai, mort en héros, en septembre 1944, dans les combats pour la libération du Doubs), faut-il chercher plus loin la source du drame intime qui, jusqu’au bout, tarauda Philippe Séguin ?

Deux fois orphelin, et même trois, si l’on ajoute le deuil spirituel de cette « certaine idée de la France » qu’enfant il admirait chez de Gaulle et qui s’effaçait déjà quand, en 1978, il entra en politique comme député des Vosges, Philippe Séguin ne fut pas, c’est le moins qu’on puisse dire,“verni”par les circonstances. Mais, trop intelligent pour mettre sur le compte des autres ce qui le ramenait à ses propres erreurs, il ne négligeait jamais de se mettre en cause. D’où la question lancinante qui affleure à chaque page de ses Mémoires : quel levier d’action reste-t-il à celui qui, les ayant tous eus – ou presque – n’a pas su ou voulu les utiliser ?

Le oui à Maastricht l’ayant emporté par moins de 300 000 voix, celui qui avait fédéré les non face à François Mitterrand avait une occasion toute trouvée de s’ériger en chef de l’opposition puis de transformer en victoire personnelle celle,annoncée,de la droite aux législatives de mars 1993…

Mais il fallait pour cela se dresser contre Jacques Chirac. Tuer le père, diraient les psychanalystes. Philippe Séguin, qui en avait pourtant les moyens en utilisant à son profit les statuts du RPR, ne s’y résout pas.Résultat : c’est Balladur qui devient premier ministre et entreprend aussitôt de marginaliser Chirac dans la perspective de la présidentielle de 1995.

Bon soldat, Séguin se rallie une fois de plus au maire de Paris et,depuis son perchoir de l’Assemblée nationale, déstabilise si fort Balladur que celui-ci, donné largement gagnant, est éliminé.

Chirac élu face à Lionel Jospin,ce n’est pourtant pas Séguin, mais son adversaire Juppé que le nouveau chef de l’État appelle à Matignon, l’autre se trouvant condamné à continuer de ronger son frein au “perchoir”. L’échec de la dissolution voulue par Juppé et contre laquelle Séguin s’était élevé lui donne-t-il une chance de rebondir ? En juillet 1997, il prend enfin la direction du RPR. Son unique tentative pour s’imposer débouche sur un échec symbolique : ayant proposé de changer les initiales du RPR en RPF pour « renouer avec l’identité gaulliste », une majorité de militants repousse ce retour aux sources en forme de déchiraquisation et, offense suprême, ovationne debout le nom de Chirac !

Chirac se débarrasse d’un concurrent au profit d’un successeur : Sarkozy

Philippe Séguin, alors, en est sûr : Jacques Chirac veut transformer l’association de ses “amis”, présidée par Bernard Pons, en “parti du président” ! On connaît la suite : sa démission mémorable de 1999 qui laisse le mouvement décapité aller à la pire catastrophe électorale de son histoire : 13% des voix !

Jacques Chirac craint-il de voir Philippe Séguin, blessé, se lancer contre lui, en 2002, à l’assaut de l’Élysée ? Il le persuade d’être candidat, en 2001, à la mairie de Paris.Mais n’ayant pu obtenir le retrait du maire sortant, Jean Tiberi, l’Élysée doit se résigner à assister, impuissant, à un véritable jeu de massacre : honnête jusqu’au bout, Séguin attaque en priorité le “système” parisien. Et feint d’oublier que, si système il y a, Tiberi ne saurait en être l’initiateur, lui qui attendit dix-huit ans pour succéder à Chirac ! Le socialiste Bertrand Delanoë n’a plus qu’à reprendre à son compte les arguments de Séguin… et à attendre, dans un fauteuil, sa propre élection.

Chirac respire : il n’a plus de concurrent dans son propre camp, seulement un successeur : Nicolas Sarkozy. À 58 ans – âge auquel Mitterrand allait devoir attendre encore un septennat pour conquérir l’Élysée –, Philippe Séguin quitte l’arène politique.

Pétri d’histoire de France, il en avait pourtant tout appris. Sauf cette leçon subsidiaire qui, dans l’action, devient la première : si nobles soient-elles, les idées ne s’imposent, en démocratie, que par la force des urnes. Depuis Maastricht où, de son point de vue, tout avait été dit, Philippe Séguin avait perdu l’envie de se répéter…

Par Eric Branca

Photo © SIPA

De la France.

On lui devra un de ces moments rares dans les tumultes de la vie politique : un moment d’unanimité nationale. Ce à quoi Philippe Séguin avait tant rêvé de son vivant, sa mort nous l’aura offert : depuis huit jours, grâce à lui, à cause de lui, on ne parle que de la France, de la nation, de la République. Car il fut l’homme d’un discours, prononcé dans la nuit du 5 au 6 mai 1992 à la tribune de l’Assemblée nationale, un discours sur la France de deux heures et demie devant des parlementaires interloqués.

Il eut ce soir-là le sentiment de “faire de la politique”. C’est en effet dans ce discours qu’il démontra qu’il y avait un préalable à toute ratification du traité de Maastricht sur la monnaie unique, celui de réformer la Consti tution. Il emporta la conviction du Conseil constitutionnel et décida le président de la République, François Mitterrand, à consulter les Français par référendum. Le oui gagna de quelque 500 000 voix, à peine 2 % des suffrages exprimés. Treize ans plus tard, le 29 mai 2005, les Français se prononcèrent à nouveau, sur un traité constitutionnel qui faisait suite à celui de Maastricht. Cette fois, le non obtint 2,6 millions de voix de plus que le oui ! Comme si les mots de Philippe Séguin s’étaient finalement insinués

dans l’intimité des opinions. Et si nous avons aujour d’hui un traité européen qui tourne le dos au fédéralisme et à l’effacement des États – les juges constitutionnels allemands ayant même pris soin de préciser qu’il ne pouvait s’agir que d’une association d’États souverains –, on pourrait soutenir que c’est au lointain discours sur la France qu’on le doit.

Un mot du général de Gaulle en résume le propos : « On peut être grand même sans beaucoup de moyens ; il suffit d’être à la hauteur de l’Histoire. » Philippe Séguin le disait : « Certes, les statistiques ne font pas de la France une superpuissance mondiale. Mais en quoi cela est-il nouveau ? Qu’était-ce donc que la puissance française quand le petit roi de France faisait la guerre aux Plantagenêts ? Qu’était-ce donc que la puissance française opposée à l’empire de Charles Quint ? Que pesait donc la puissance française pour les soldats de l’An II et les grognards de l’Empire face à l’Europe coalisée ? Et pour quelle part comptait-elle, la puissance française, chez ceux qui firent avec Leclerc le serment de Koufra et chez ceux qui tinrent le maquis et ne se rendirent jamais ? » Il ajoutait, en forme de leçon de l’Histoire : « C’est le caractère bien plus que la géographie qui fait la force et le rayonnement d’un peuple – la ténacité, le cou rage, l’intelligence, la créativité, la cohésion décident du rang d’une nation. Et même de sa prospérité ! »

On peut imaginer que les Français avaient quelque chose comme cela en tête, quand ils ont voté en 2005, sans trop savoir que c’était lui qui l’avait dit. Un homme en revanche le savait, Nicolas Sarkozy, si différent de lui, mais qui avait compris la signification du non de 2005, de cet appel de détresse du pays à ses dirigeants pour que ceux-ci reprennent en main son destin au lieu de donner l’impression de l’aban donner aux mains des autres. Un appel à « tirer sa force de sa fai blesse » et à ce que le président de la Répu blique appelait, lundi à Saint-Louis-des-Invalides, dans son bel éloge funèbre, le « devoir d’orgueil ».

Un an avant son élection, le 5 mai 2006 à Nîmes, Nicolas Sarkozy avait ouvert sa campagne par un discours sur la France dans lequel il retrouvait les mots et les accents de Philippe Séguin en 1992. La fierté de ce que la France avait accompli, de ce qu’elle serait capable d’accomplir dans l’avenir, « la fierté d’être français pour étonner le monde ». C’est cet élan qui allait le conduire à l’Élysée. Et l’on com prend pourquoi maintenant, devant un pays amer, blessé par la crise, devant une opinion rebelle, il est allé chercher dans cette même filiation ce débat sur l’identité nationale afin de dénoncer le renoncement et “la haine de soi” et de plaider pour notre rayonnement.

Or, ce débat s’est aussitôt heurté aux ricanements et au rejet d’une majorité d’intellectuels portés par les médias. Pourquoi ? Par hostilité à toutes les initiatives du chef de l’État ? Parce qu’ils ont honte de parler de la France ? Sans doute Philippe Séguin n’était-il pour eux qu’un “homme du passé” et ce qu’il disait aussi. Il est vrai qu’il avait écrit ces mots implacables à leur intention : « La pire menace qui puisse peser sur une démocratie, c’est la violence sournoise, insinuante, du mensonge ; c’est la manipulation des esprits, d’autant plus redoutable qu’elle revêt les oripeaux du moralisme. » Voilà une question de plus soulevée par le débat sur la France.

Par François d'Orcival, de l'Institut.

Photo © Patrick Iafrate