DEMOCRATIE

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jeudi 28 mai 2009

L'éditorial de Claude Imbert - Mécomptes et légendes

Un grand musée de l'Histoire de France ? Notre pays compte des centaines de musées historiques, mais aucun n'embrasse toute l'Histoire nationale comme les musées de même ambition, allemand ou américain. Pourtant, le projet élyséen reçoit un accueil mitigé. Représenter l'Histoire, monstre insaisissable, dérange les historiens, qu'indisposent de surcroît les embardées de l'Etat sur leurs plates-bandes. L'Histoire, plaident-ils, ne s'écrit plus à Epinal. Elle ne se contente plus de colorier des héros, des scènes propices à l'imagerie. Ses champs nouveaux couvrent le commerce des temps passés, le climat, leur tonalité sociale, tout un univers impalpable qui défie la mise en scène. Bref, on refuse l'impassibilité d'une Histoire, momie d'un indésirable musée.

Faut-il jeter alors le projet aux orties ? Décourager, par intégrisme historien, la soif populaire de l'Histoire ? Dénier le rôle que sa représentation-fût-elle légendaire-joue dans le vague de l'identité nationale ? Pas sûr ! On voit bien ce que la modernité lui oppose : l'avenir transnational, la guerre des mémoires et, ces temps-ci, les repentances esclavagiste et coloniale, toute cette réécriture révisionniste par nos convictions et savoirs nouveaux d'une Histoire obsolète. Mais ce chambardement critique n'interdit pas de montrer, comme d'autres nations y parvinrent, comment s'édifia, dans la mêlée des siècles, la nation française.

Le projet a, c'est vrai, je ne sais quoi de romantique. Il y flotte la nostalgie populaire du passé. Et le charme déclinant de ces Parques de l'imaginaire national dont les fils énigmatiques tissent la Patrie, la Nation. Or les doctes, là-dessus, n'ont pas le fin mot. Car il est une histoire, celle de la mémoire collective, qui n'appartient pas aux historiens. Rêvons un peu ! Imaginons ce musée improbable aux Invalides, rêve de pierre, de majesté mélancolique, déployé au coeur du Paris historique ! Il ferait un noble tombeau pour une Histoire par nature défunte, mais toujours digne d'être visitée et méditée.

L'Histoire, c'est entendu, n'y sera plus ce qu'elle était. Jadis on croyait à l'Histoire comme aux Evangiles. On la voyait tragique, rythmée par les massacres. On savait que le glaive a fait la France, ses armes plus que ses lois et Richelieu autant que Molière. On glissait sur les périodes heureuses qui font les pages blanches de l'Histoire. La France ainsi dessinée n'est plus qu'un souvenir d'enfance...

Le désenchantement de cette Histoire-là vient de loin. L'école des Annales a fait brillamment déferler, avec l'économique et le social, un déluge de nouvelles vérités sur le folklore d'Epinal. Elle expédia au bric-à-brac les armures et les perruques, les canons et les pourpoints...

Dans les yeux des enfants, dans leurs soldats de plomb, dans les comptines populaires, l'Histoire de jadis s'apprenait sur un ciel de légendes à grand renfort de clichés édifiants, Clovis et son vase, Charlemagne et sa barbe, Jeanne d'Arc et son bûcher, Marignan 1515, Henri IV et sa poule au pot, Napoléon et sa Berezina... Le père Dumas et le roman de l'Histoire y ajoutèrent « Les trois mousquetaires », Hugo sa « Légende des siècles » et le cinéma de l'entre-deux-guerres « Trois de Saint-Cyr »... Epopées, mirages, fantasmes d'une Histoire écrite puis rêvée par des vainqueurs ! L'Histoire, on s'en doutait déjà, n'est qu'une science fort conjecturale... « Plutôt un art, disait Anatole France, où l'on ne réussit que par l'imagination... » L'imagination ne chômait pas. Elle ornait les temples du souvenir que sont les lieux de mémoire. Et dont Pierre Nora fit un musée imaginaire.

Nos savant historiens, tous férus du doute méthodique, n'ont pas eux-mêmes échappé aux visions de l'imaginaire idéologique. Celui de la vulgate républicaine, de son culte du progrès, de sa dévotion révolutionnaire. L'enseignement public que j'ai pratiqué doutait fort peu. Il ne balançait guère entre Taine et Michelet, entre Bainville et Lavisse : il était d'un seul bord. Jusqu'à ce que Furet enlève à la « déesse Révolution » un piédestal sacralisé. Marée puis ressac d'illusions...

Le projet muséal ne vaudra que s'il échappe aux mécomptes de la fable comme à ceux de l'intégrisme critique. C'est le cap modéré qui s'impose aussi à l'enseignement, hélas saccagé, de l'Histoire : j'ignore si l'enfant la sait mieux, le fait est qu'il la sait moins. Que l'histoire des idées, des inventions accompagne l'histoire des rois et des républiques, bien sûr ! Mais sans écraser les séquences de l'unité française et leur chronologie. Le remords anticolonial jette à la rivière la casquette du père Bugeaud, mais qui était Bugeaud ? Le site d'Alésia n'est pas celui que l'on croyait, mais que se passa-t-il à Alésia ? Un musée moderne aidé de l'image mobile et de l'informatique peut servir une pédagogie populaire de l'Histoire. Fût-ce avec l'image et sa poussière de légendes !

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