DEMOCRATIE

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lundi 18 mai 2009

L'éditorial de Claude Imbert - Sarkozy II

Le cours, encore énigmatique, de la grande crise importe plus que le bilan d'un sarkozysme mutant. Du moins voit-on que cette crise accouche déjà d'un paradoxe : elle confirme l'impopularité du président, mais redresse plutôt sa stature présidentielle.

Un fort courant d'opinion, accru par la détresse sociale, le tient pour responsable des malheurs de la Nation. Mais cette majorité composite, vaguement consciente que ces malheurs viennent surtout d'ailleurs, se dit qu'après tout, dans ces passes dangereuses, il n'est pas le plus mauvais pilote. Réflexe légitimiste ? Inanité de l'opposition ? Oui, sans doute ! Mais il y a plus : la crise a changé la fonction, et le regard qu'elle inspire. Elle plombe la présidence Sarkozy du poids des misères publiques. Mais elle leste sa fonction d'une gravité nécessaire. La crise, en somme, sied à Sarkozy.

Un brutal précipité historique fait-ou ne fait pas-d'une figure politique un homme d'Etat. Il révèle sa trempe. Sous le faire-savoir le savoir-faire, et sous la forme le fond. Sarkozy n'est pas au bout de l'épreuve. Mais du moins lui ôte-t-elle une défroque déplorable et qui lui nuit encore.

Dans la volière politique française, Sarkozy est un merle blanc. Son ramage a d'abord séduit, puis déconcerté, puis déplu. Parti, fleur au fusil, dans les fanfares de la « rupture », sa vie privée, d'emblée, orne son avènement d'une pavane imprudente. Féru de « transparence », il expose à la caricature une euphorie juvénile, une épate pour les réussites, à commencer par la sienne, et celles de l'argent. Il s'encombre d'une caracole de symboles-Fouquet's, yacht et 18 carats-plus prisés à Neuilly qu'à Romorantin.

Le vieux pays renaude, déprise, lui, cet étalage et son bling-bling, le saugrenu de ses manières, sa débonnaireté New Age, son parler familier parfois jusqu'au déglingué. Et puis bientôt, autour de lui, ce grenouillis de cour avec ses grâces et disgrâces. Alors, le conservatisme atavique reprend le dessus, s'essouffle devant le tourbillon de réformes qui se bousculent l'une l'autre. Bref, la déception se répand avec, chaque jour, son bourdon médiatique, lequel fait les glorioles et défait la gloire... Fichue pente !

Mais voilà que dégringole la crise ! Et là, pour le coup, l'Histoire virant tragique, fini la comédie : du Sarkozy à son meilleur ! Contre le cyclone financier il déploie un art tout d'exécution : coup d'oeil, prestesse, énergie ! Avec le G20, dressé à la va-vite contre la catastrophe alors imminente, avec l'embarquement à la hussarde d'une Europe en peau de lapin, Sarkozy tape juste et fort. Sous l'agitation, voici le sang-froid, sous le profus l'opiniâtre.

Le tort, aujourd'hui, des caciques de l'opposition, c'est de faire de l'antisarkozysme forcené leur drogue. Tort de cibler un profil, le sarkozysme pétulant première manière, comme s'il engageait à jamais le fond. De faire d'un homme qui n'est pas « leur genre » un fossoyeur de la République. Vue basse et mauvaise pioche !

Car, avec cette crise qu'il affronte en bonapartiste affranchi de tout préjugé - y compris des siens -, Sarkozy galope ailleurs. Virtuose du contrepied, le libéral devient, pour le sauve-qui-peut financier, le premier des étatistes. Le serviteur présumé du Veau d'or se fait contempteur des patrons dorés sur tranche. L'europhile du « oui » à l'Europe déblatère contre la technocratie de Bruxelles comme un militant du « non ». Et, contre le machisme ronronnant de la classe politique, contre la xénophobie sournoise, le supposé « réac » impatronise la parité et la diversité...

Bref, il bouge tant qu'à le critiquer en tout et sur tout l'opposition perd le nord. Elle conteste les emplâtres, made in gauche, sur les plaies rouvertes du chômage. La voici réduite à dénoncer-rengaine éculée-le viol des libertés publiques par un pouvoir... qui renforce le rôle du Parlement. A soutenir, sans y regarder de près, les résistances corporatistes de nos chers mandarinats, celui de la magistrature, de l'hôpital public et des grands clercs sombrant dans l'anarchie d'universités suicidaires. La voici cherchant quel pamphlétaire pourrait crucifier Sarkozy comme jadis Mitterrand clouant-une honte !-de Gaulle en despote du « coup d'Etat permanent »... Bel exploit, en vérité, qui fait du pilori le seul piédestal de la succession !

Sarkozy, c'est entendu, n'a pas sauvé la France, il la secoue. Les sondages dégoulinent de nostalgie pour Mitterrand et Chirac, qui auront bercé, vingt-cinq ans durant, une longue sieste nationale. Il y a certes beaucoup à regretter quant à la méthode Sarkozy, dans l'incontinence du verbe, l'absence d'un cap, d'une direction lisible et cadrée. Trop souvent Sarkozy balade en vain le gouvernement, le Parlement et l'opinion, à perdre haleine, et du four au moulin. Du moins est-ce une France réveillée qui abordera la sortie de crise. Tant mieux !

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