DEMOCRATIE

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dimanche 23 novembre 2008

Le choc du passé et de l'avenir Nicolas Baverez.


« Dans une société qui se dissout et se recompose, écrivait Chateaubriand, la lutte des deux génies, le choc du passé et de l’avenir, le mélange des moeurs anciennes et des moeurs nouvelles forment une combinaison transitoire qui ne laisse pas un moment d’ennui. Les passions et les caractères en liberté se montrent avec une énergie qu’ils n’ont point dans la cité bien réglée. » Comme les guerres et les révolutions, les grandes crises jouent un rôle d’accélérateur de l’Histoire, de révélateur de l’état des nations comme de la stature de leurs dirigeants.

L’année 2008 vit l’effondrement des trois piliers sur lesquels reposait le système mondial depuis la chute du mur de Berlin et du soviétisme en 1989. Le premier était le capitalisme mondialisé dans sa forme dérégulée, qui a conquis une dimension universelle avant d’imploser. La crise financière s’est transformée en récession du monde développé et continuera à s’étendre en 2009. Le modèle de développement fondé sur la consommation à crédit est caduc. C’est bien la norme d’un capitalisme dérégulé qui se trouve ruinée, le coup de grâce lui ayant été porté par l’escroquerie abyssale de Bernard Madoff. Le deuxième pilier était constitué par la suprématie absolue des Etats-Unis, garants de la stabilité du monde et réassureurs de l’économie ouverte. La pulsion nationaliste, militariste et cupide du néoconservatisme s’achève par une retentissante faillite de l’Amérique. Le troisième pilier résidait dans le triomphe apparent de l’Occident, théorisé par Francis Fukuyama avec le mythe d’une fin de l’Histoire placée sous le signe de la démocratie de marché. Aujourd’hui, la démocratie est sur la défensive, menacée par le regain des empires, l’extension du terrorisme, l’affaissement des Etats, tandis que le marché, en coma dépassé, est placé en réanimation intensive par les Etats. Ainsi s’affirme le déclin de l’Occident, qui a perdu la maîtrise d’un monde désormais multipolaire.

Au milieu des décombres de l’ordre ancien émergent les premiers jalons d’une ère nouvelle. Le risque systémique pesant sur les banques et la menace d’une déflation mondiale ont entraîné une mobilisation et une coordination sans précédent des politiques économiques. L’élection de Barack Obama ouvre la voie à un New Deal du XXIe siècle et à une réinvention du rêve américain. La Chine, forte de l’acquis de ses Trente Glorieuses, réoriente son modèle de développement vers la demande intérieure et assume progressivement une part de responsabilité dans le pilotage de l’économie mondiale, qu’elle entend partager avec les Etats-Unis. L’Europe s’est réveillée, jouant, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, le premier rôle dans la crise provoquée par l’intervention russe en Géorgie puis dans le sauvetage des banques, ébauchant un futur gouvernement économique de l’Union et confortant son leadership dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Les accélérations de l’Histoire sont un filtre impitoyable qui fait la lumière et la vérité sur la gestion des entreprises, la hiérarchie des nations, la capacité des dirigeants. 2008 a ainsi consacré le bilan calamiteux de George Bush, qui a brillé par le vide de son leadership en pleine tempête économique. 2008 a aussi montré la pusillanimité inattendue d’Angela Merkel, qui, sous-estimant la crise et surestimant la résistance de l’Allemagne, a paru dépassée par les événements et s’est isolée en Europe. A l’inverse, Barack Obama, dont l’élection est à elle seule une révolution, est l’homme de l’année. Le plus difficile reste devant lui, puisqu’il lui reviendra en 2009 de répondre aux espoirs qu’il suscite. Nicolas Sarkozy a su mettre à profit la présidence française de l’Europe et l’effacement des Etats-Unis pour se forger une stature d’homme d’Etat, s’imposer dans la gestion de crise, conduire le retour de la France et de l’Union sur la scène internationale. Pour lui aussi 2009 sera l’année de tous les dangers, placée sous le signe du retour vers la politique intérieure en période de récession. Gordon Brown compte également au rang des vainqueurs, qui a su reconstruire son leadership et se repositionner face aux conservateurs dans la perspective des élections de 2010, grâce à la conception du plan de sauvetage des banques qui fut adopté par l’Europe et les Etats-Unis, puis à une politique économique d’une extrême agressivité.

Le conseil de Churchill selon lequel « il faut prendre l’événement par la main avant qu’il ne vous saisisse à la gorge » ne perdra rien de sa valeur en 2009 : le coup d’oeil et la vitesse de réaction resteront déterminants. Le caractère structurel et la durée de la crise, qui impliquent le basculement d’une logique de guerre éclair à une logique de guerre de tranchées, appelleront des stratégies de long terme au-delà des mesures d’urgence. Aux côtés des exigences de l’action, il faudra mobiliser les armes de la raison. De manière défensive, pour contrer l’emballement des pressions xénophobes, nationalistes et protectionnistes. De manière offensive, pour imaginer les institutions et les règles de l’avenir et leur donner corps, permettant de stabiliser le monde du XXIe siècle

Publié le 01/01/2009 N°1894 Le Point

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