DEMOCRATIE

DEMOCRATIE

dimanche 17 janvier 2010

De la France.

On lui devra un de ces moments rares dans les tumultes de la vie politique : un moment d’unanimité nationale. Ce à quoi Philippe Séguin avait tant rêvé de son vivant, sa mort nous l’aura offert : depuis huit jours, grâce à lui, à cause de lui, on ne parle que de la France, de la nation, de la République. Car il fut l’homme d’un discours, prononcé dans la nuit du 5 au 6 mai 1992 à la tribune de l’Assemblée nationale, un discours sur la France de deux heures et demie devant des parlementaires interloqués.

Il eut ce soir-là le sentiment de “faire de la politique”. C’est en effet dans ce discours qu’il démontra qu’il y avait un préalable à toute ratification du traité de Maastricht sur la monnaie unique, celui de réformer la Consti tution. Il emporta la conviction du Conseil constitutionnel et décida le président de la République, François Mitterrand, à consulter les Français par référendum. Le oui gagna de quelque 500 000 voix, à peine 2 % des suffrages exprimés. Treize ans plus tard, le 29 mai 2005, les Français se prononcèrent à nouveau, sur un traité constitutionnel qui faisait suite à celui de Maastricht. Cette fois, le non obtint 2,6 millions de voix de plus que le oui ! Comme si les mots de Philippe Séguin s’étaient finalement insinués

dans l’intimité des opinions. Et si nous avons aujour d’hui un traité européen qui tourne le dos au fédéralisme et à l’effacement des États – les juges constitutionnels allemands ayant même pris soin de préciser qu’il ne pouvait s’agir que d’une association d’États souverains –, on pourrait soutenir que c’est au lointain discours sur la France qu’on le doit.

Un mot du général de Gaulle en résume le propos : « On peut être grand même sans beaucoup de moyens ; il suffit d’être à la hauteur de l’Histoire. » Philippe Séguin le disait : « Certes, les statistiques ne font pas de la France une superpuissance mondiale. Mais en quoi cela est-il nouveau ? Qu’était-ce donc que la puissance française quand le petit roi de France faisait la guerre aux Plantagenêts ? Qu’était-ce donc que la puissance française opposée à l’empire de Charles Quint ? Que pesait donc la puissance française pour les soldats de l’An II et les grognards de l’Empire face à l’Europe coalisée ? Et pour quelle part comptait-elle, la puissance française, chez ceux qui firent avec Leclerc le serment de Koufra et chez ceux qui tinrent le maquis et ne se rendirent jamais ? » Il ajoutait, en forme de leçon de l’Histoire : « C’est le caractère bien plus que la géographie qui fait la force et le rayonnement d’un peuple – la ténacité, le cou rage, l’intelligence, la créativité, la cohésion décident du rang d’une nation. Et même de sa prospérité ! »

On peut imaginer que les Français avaient quelque chose comme cela en tête, quand ils ont voté en 2005, sans trop savoir que c’était lui qui l’avait dit. Un homme en revanche le savait, Nicolas Sarkozy, si différent de lui, mais qui avait compris la signification du non de 2005, de cet appel de détresse du pays à ses dirigeants pour que ceux-ci reprennent en main son destin au lieu de donner l’impression de l’aban donner aux mains des autres. Un appel à « tirer sa force de sa fai blesse » et à ce que le président de la Répu blique appelait, lundi à Saint-Louis-des-Invalides, dans son bel éloge funèbre, le « devoir d’orgueil ».

Un an avant son élection, le 5 mai 2006 à Nîmes, Nicolas Sarkozy avait ouvert sa campagne par un discours sur la France dans lequel il retrouvait les mots et les accents de Philippe Séguin en 1992. La fierté de ce que la France avait accompli, de ce qu’elle serait capable d’accomplir dans l’avenir, « la fierté d’être français pour étonner le monde ». C’est cet élan qui allait le conduire à l’Élysée. Et l’on com prend pourquoi maintenant, devant un pays amer, blessé par la crise, devant une opinion rebelle, il est allé chercher dans cette même filiation ce débat sur l’identité nationale afin de dénoncer le renoncement et “la haine de soi” et de plaider pour notre rayonnement.

Or, ce débat s’est aussitôt heurté aux ricanements et au rejet d’une majorité d’intellectuels portés par les médias. Pourquoi ? Par hostilité à toutes les initiatives du chef de l’État ? Parce qu’ils ont honte de parler de la France ? Sans doute Philippe Séguin n’était-il pour eux qu’un “homme du passé” et ce qu’il disait aussi. Il est vrai qu’il avait écrit ces mots implacables à leur intention : « La pire menace qui puisse peser sur une démocratie, c’est la violence sournoise, insinuante, du mensonge ; c’est la manipulation des esprits, d’autant plus redoutable qu’elle revêt les oripeaux du moralisme. » Voilà une question de plus soulevée par le débat sur la France.

Par François d'Orcival, de l'Institut.

Photo © Patrick Iafrate

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